Une fête est un excès permis, voire ordonné.
Sigmund Freud - Totem et tabou
Voilà posé le problème soulevé par l’existence des fêtes (celles qui sont socialement reconnues du moins) : comment peuvent-elles autoriser, voire même ordonner l’excès ? L’excès n’est-il pas par définition ce qui doit être évité ? Les Grecs le disaient justement : « Rien de trop ! », telle était leur devise.
Pour ceux que la question intéresse, il est une référence utile : c’est le livre de Roger Caillois.– L’homme et le sacré.– Selon Caillois, il y a deux formes d’excès liés à la fête :
- L’excès de consommation. Certaines fêtes sont liées à des cycles, comme les fêtes des moissons, ou même pour marquer la fin de l’année. L’idée est que pour entrer dans un nouveau cycle, il faut d’abord terminer le précédent. La fête n’est pas là seulement pour marquer le passage au nouveau cycle ; elle est aussi clôture du précédent. Et pour cela il faut que tout ce qui appartenait à cette période disparaisse. Ainsi, dans des sociétés d’ancien régime qui connaissaient la disette, on n’hésitait pas lors des fêtes des moissons à gaspiller les provisions de la récolte précédente, et cela pour rendre possible de remplir les greniers de nouveau. Bien entendu cela n’a rien à voir avec nos soldes, qui obéissent à une logique économique ; ici on est plutôt sur le versant naturaliste : dans la nature la vie succède à la mort, le printemps à l’hiver, les moissons à la disparition intégrale de précédente récolte. (S’il fallait comparer avec notre époque, on comparerait plus utilement avec nos bombances de réveillon.)
- Le désordre social. La fête la plus ancienne à être encore vivace aujourd’hui, c’est peut-être le carnaval. Celui-ci a pris le relais des Saturnales romaines, qui voyaient un esclave proclamé roi de la fête, puis assassiné arrivé à son terme. Aujourd’hui encore Sa Majesté carnaval est solennellement brûlée en clôture des célébrations. Si le Carnaval nous intéresse, ce n’est pas seulement pour son ancienneté, c’est surtout parce qu’il révèle un ressort fondamental de la fête : elle a pour fonction de jouer la vie sociale à l’envers. « Jouer », et non pas « instituer » : l’esclave ne devient pas roi, de même que la débauche et l’ivresse ne sont pas tolérés en dehors de cet espace bien clôt et bien délimité de la fête. On peut aussi penser au Carnaval du nord de la France, où patron et ouvrier peuvent se coudoyer, en minijupes et perruques roses.
Voilà sans doute à quoi pensait Freud dans Totem et tabou. En tout cas ça signifie que la fête ne peut pas être permanente.
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