L'ironie, c'est le courage des trouillards !
Catherine Rihoit - Entretien avec Bernard Pivot - Avril 1980
Cette citation permet de poser ce qui me semble être la bonne question : non pas « Qu’est-ce que l’ironie ? », mais « Pourquoi l’ironie ? »
L’ironie serait donc une agression de lâche, qui blessait sa victime, tout en laissant l’agresseur à l’abri de la riposte ? Certes, l’ironie oscille perpétuellement entre le premier et le second degré, entre la phrase et l’antiphrase, et l'ironiste peut profiter de cette oscillation pour dissimuler son intention. Mais la réduire à son aspect agressif, c’est oublier sa fonction originelle.
Historiquement parlant, l’ironie consiste à affirmer son ignorance alors qu’on est en possession du savoir. Platon l’attribue à Socrate (République, I, 337a). Aristote le confirme : « Quand il s’agit de dire la vérité, celui qui pèche par exagération est un vantard, celui qui feinte en atténuant son savoir est un ironiste. » (Ethique à Nicomaque, II, 7). Pour Socrate, l’ironie est une façon de « dégonfler » la prétention des sophistes qui prétendent tout savoir et qui sont comme des outres gonflées de vents. Mais, si Socrate est celui qui dit « explique-moi ce que tu dis, parce que moi, mon cher, je n’y connais rien », il est aussi celui qui affirme : « Je suis le plus savant de tous les hommes, parce que je sais que je ne sais rien ». L’ironie, si c’en est une, de prétendre ne pas savoir, s’applique donc d’abord à soi-même.
C’est Kierkegaard qui donne le ton ici. Pour Kierkegaard l’attitude éthique comporte une prise de distance par rapport à soi-même, et un refus de prendre au sérieux notre prétention d’homme à constituer l’être le plus important de la création (1). Autrement dit, Kierkegaard estompe la frontière qui sépare l’ironie de l’humour.
Pour le reste Catherine Rihoit a sans doute aussi raison ; simplement elle ne fait que pointer une autre caractéristique : à savoir que c’est l’être humain qui donne sa signification aux actions, que celles-ci n’ont pas de sens en elles-mêmes. L’ironie n’est pas l’arme des lâches. Mais il y a une façon « lâche » de faire de l’ironie.
(1) Bien entendu cela ne remet pas en cause l’importance du sérieux chez Kierkegaard, lorsqu’il consiste à faire en sorte que notre décision soit plus qu’une simple promesse, et qu’elle nous engage totalement.
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