Baise m'encor, rebaise-moi et baise;
Donne m'en un de tes plus savoureux;
Donne m'en un de tes plus amoureux,
Je t'en rendrai quatre plus chauds que braise.
[…] Ainsi mêlant nos baisers, tant heureux,
Jouissons-nous l'un de l'autre à notre aise.
Louise Labé - Sonnets, XVII
Quelle différence entre le baiser que Louise Labé prodigue à son amant et l’objet (petit-a ou pas) que Freud attribue au désir (cf. citation du 25 février : on se rappelle que celui-ci affirmait que l’objet aimé était indéfiniment remplaçable, parce qu’aucun ne conviendrait jamais tout à fait) ?
Donne m'en un de tes plus amoureux, / Je t'en rendrai quatre : alors que ce vieux ronchon de Sigmund compte les désirs déçus, Louise échange les baisers sur la base de quatre pour un. L’amour c’est ça : donner à profusion parce que donner, c’est jouir.
Jouissons l’un de l’autre à notre aise : c’est ça l’amour ! Tout comme Diogène prouvait le mouvement en marchant (1), Louise prouve l’amour en baisant (= en donnant des baisers ; un peu de romantisme que diable !).
Il faudrait prendre ça au sérieux : plutôt que de se demander indéfiniment si ce qu’on veut est possible, faisons-le, et puis on verra après. Kant dira même que chaque action entreprise suppose cette foi en sa réussite : si on le désire alors c’est possible (cf. message du 21 septembre).
Ainsi, le désir amoureux est par définition ce qui saute les obstacles : avant même de savoir ce qu’il est, il est cet élan qui me porte à faire. « Mon cœur soupire / La nuit et le jour / Qui pourrait dire / Si c’est d’amour » chante le Chérubin de Mozart (2). Encore enfant, déjà amoureux, il représente cette vitalité du désir qui n’attend même pas d’être conscient pour « travailler » la conscience.
La météo nous en prévient : le printemps promet d’être en avance cette année, et il sera plus chaud que d’habitude. Jeunes gens, n’hésitez pas : lisez Louise Labé.
(1) Des philosophes (les éléates) affirmaient que l’espace étant divisible indéfiniment, le mouvement était impossible. Ainsi, selon Zénon, Achille, le plus véloce des grecs ne pourrait pas rejoindre une tortue partie un peu avant lui, parce qu’il lui faudrait parcourir la moitié du chemin le séparant d’elle, puis la moitié de la moitié, puis la moitié de la moitié de la moitié, … et ainsi de suite indéfiniment : il y aurait toujours un espace séparant Achille de la tortue. On raconte que Diogène (le cynique) alla devant ces philosophes et se mit à marcher, prouvant ainsi que le mouvement était possible.
(2) C’est une traduction « libre » de la chanson de Chérubin à l’acte 2 des Noces, mais je la conserve parce qu’elle est connue de tous (oui ?), et qu’elle ne fausse pas l’idée qui s’y développe (Voi che sapete / Che cosa è amor, / Donne, vedete / S’io l’ho nel cor. / Quello ch’io provo / Vi ridio ; / E per me nuovo, / Capir nol so…)
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