Ce qu'il y a de plus extraordinaire peut-être dans le besoin de l'extraordinaire, c'est que c'est, de tous les besoins de l'esprit, celui qu'on a le moins de peine à contenter.
André Gide - Journal 1889-1939
De tous les besoins de l'esprit, l’extraordinaire est celui qu'on a le moins de peine à contenter : voilà une pensée à la fois piquante et évidente… trop peut-être. C’est le genre de pensée à la quelle on acquiesce en se disant : « Ça, c’est bien vrai», avec l’impression toutefois que ça ne devrait peut-être pas aller de soi.
L’idée, c’est que l’extraordinaire résulte en fait de la rencontre d’un désir et du hasard. Aristote le disait : si je lance un tabouret en l’air, qu’il retombe n’importe comment, c’est le hasard ; qu’il retombe sur ses pieds, c’est la chance (1). Mais ça ne fait aucune de différence pour le tabouret. En réalité, l’extraordinaire ne contrevient pas aux lois de la nature ; il résulte seulement d’une interprétation subjective : tant que l’arc-en-ciel a été vu comme l’écharpe d’Iris, il a été extraordinaire. Voilà pourquoi ce besoin est si facile à satisfaire.
Mais ne devrions-nous pas être un peu plus exigeant ?
Et si l’extraordinaire était non seulement ce qui nous surprend, nous émerveille, mais en plus ce qui ne résulte pas des lois ordinaires de la nature ?
Et si, pour être tel, l’extraordinaire devait être une création, une invention humaine ? L’extraordinaire, c’est d’abord l’homme d’exception. C’est le génie. C’est aussi le monstre, et il faut avouer qu’ils sont plus courants que les génies.
Alors, bien sûr, cette fascination pour l’extraordinaire fait qu’on est attirés par les monstres dont l’exception nous stupéfie, suscitant effroi et attirance. Hitler a sans doute profité d’un tel sentiment, et nous devons nous en méfier.
Mais reste que les œuvres humaines sont aussi des productions qui dérogent à l’ordre de la nature : soit un tout petit peu (chaque petite œuvre est une déjà une création) ; soit beaucoup.
Ce qui ne dérange rien est insignifiant.
(1) Je ne sais plus où j’ai lu ça. Si vous avez la référence, merci de me la communiquer. Sinon, ça sera une pensée de plus « attribuée à » Aristote, qui n’en est plus à une près.
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