L'art de diriger consiste à savoir abandonner la baguette pour ne pas gêner l'orchestre.
Herbert von Karajan
Quiconque est un peu anarchiste a dû se poser cette question : qu’est-ce qui se passerait si le chef d’orchestre devenu indisponible, celui-ci jouait sans chef, quitte à demander au premier violon de donner le signal du départ ?
Voilà la réponse de Karajan – réponse authentifiée par les nombreux enregistrements du Philharmonique de Berlin récemment diffusés à la télé : tous attestent que Karajan, s"il gardait sa baguette, il ne s'en servait pas pour conduire l'orchestre. Karajan dirigeait les yeux fermés.
Les yeux fermés, ça veut dire que le chef ne donne aucune directive précise en cours d’exécution, comme un geste pour retenir les timbales un peu sonores, ou pour exciter les violons un peu mous (1). Ça, quand ça existe, ça se voit, et le chef n’a sûrement pas les yeux fermés à ce moment là (voir le prédécesseur de Karajan : Furtwängler, dont on dit que les musiciens n’étaient jamais sûr de savoir comment il les dirigerait le soir du concert).
Alors, venons-en à la question qui vous brûle les lèvres, j’en suis sûr : comment fait-on pour diriger un orchestre ?
Selon Karajan, on peut dire à coup sûr que c’est avant le concert que le chef dirige son orchestre. Je veux dire : durant les répétitions, dont on dit qu’il en faisait un nombre se séances extraordinaire. L’orchestre devait accéder alors à une intimité totale avec l’œuvre, ou plutôt avec ce que le chef voulait faire de l’œuvre ; chaque instrumentiste ne pense même plus à ce qu’il doit faire : il le fait comme par instinct. C’est là que la baguette du chef risquerait de gêner l’orchestre.
Deuxième question toute aussi brûlante : que fait alors le chef devant son orchestre la baguette à la main, durant le concert ?
A mon avis, le chef qu’est Karajan mime la musique. Il est cet instrumentiste, dont le corps est l’instrument, qui restitue par ses attitudes, par ses mimiques, l’œuvre telle qu’il la ressent, telle qu’il la produit en même temps que l’orchestre. (2)
Je ne crois donc pas tout à fait à la thèse de Bergson selon la quelle si le chef d’orchestre, au cours du concert, mime effectivement la musique, il reste néanmoins extérieur à sa production. Je croirais plutôt une co-production : l’orchestre induit l’émotion vécue par le chef ; la vue du chef dans son émotion garantissant aux instrumentistes qu’ils ont bien sur la même « longueur d’onde » que lui.
(1) Les yeux fermés, ça veut dire aussi que le chef connaît par cœur la partition : mais ça c’est une autre histoire.
(2) Je suis persuadé que la plupart des chefs font place à ces deux fonctions : de donner au fur et à mesure non seulement le bon tempo, mais encore la juste exécution, et de vivre par ses attitudes la musique ainsi produite. D’ailleurs c’est aussi ce que fait le visage du pianiste, voire même son corps.
3 comments:
Pour avoir été musicien dans un groupe d'environ 60 personnes (Saxo baryton, ténor, alto et soprano, flute traversière, clarinette, trompette, percussion, batterie, clavier) dirigé par une chef d'orchestre qui n'était peut-être pas Karajan, mais était bien loin d'être incompétente pour autant, je vais essayer de donner mon ressenti dans la situation de musicien.
Le chef d'orchestre ne joue peut-être pas directement la musique et en ça il est bien extérieur à sa production; toutefois, c'est lui qui nous guide dans la façon d'interpréter une partition.
Mais plus que tout, il permet une chose qu'aucun autre musicien peut faire: il est à la meilleurs place pour écouter les musiciens, et faire la "balance" entre tous.
Un "triple forte" pour un soprano n'a pas la même force qu'un "triple forte" pour une trompette.
Si à ça vous ajoutez que vous avez 2 sopranos et 6 trompettes, équilibrer le tout devient particulièrement délicat sans chef d'orchestre.
Merci pour toutes ces précisions.
On voit qu'en effet, jouer sans chef serai impossible, mais aussi je posais cette question en rapport avec l'exécution publique de la musique.
Car tout ce que vous décrivez du travail du chef doit bien entendu se développer durant les répétitions. Mais y a-t-il encore des réglages durant cette dernière exécution ? Il me semblait que Karajan s'en dispensait, ce qui me permettait de dégager une autre fonction du chef : l'instrumentiste du corps qui mime la musique.
Alors même si je n'étais pas professionnel, je pense que ma réponse est vraisemblablement toujours vrai.
Donc sans trop de détours: oui il y a encore des réglages durant la représentation.
Alors on s'entend, ce ne sont pas des réglages de grandes importances, on sait tous plus ou moins ce qu'on doit faire et comment le faire.
Seulement parfois l'acoustique de la salle change entre la balance de l'après-midi et le concert le soir (ex: jouer dans une église pleine c'est pas la même sonorité que dans une église vide).
Des fois on a à peine le temps de faire une balance l'après midi donc on équilibre "le plus gros" pendant la balance et le reste pendant les premiers morceaux (merci à tous les ingé sons au passage les fois ou on était sonorisé :D)
Donc son rôle de balance des sons est toujours vrai, même pendant un concert.
Enfin le chef d'orchestre dirige toujours le rythme à donner à l'interprétation. Et ça, même si ça varie assez peu, ça peu changer.
Ainsi je me souviens qu'à une époque nous jouions le vol du bourdon(1). A une vitesse moindre que la vitesse que nous jouions en répétition (elle même déjà moindre que la vitesse normal car on avait un peu de mal à le maitriser à pleine vitesse) simplement parce que nous jouions dans une église et que l'on avait peur que la réverbération ne fasse plus une cacophonie qu'un bourdon.
Au final nous l'avons fait 2 fois, une fois vitesse ralentie, une fois vitesse "normale".
Je pense que cette "communication" entre les membres du groupes est toujours vrai, quelque soit le groupe. Seulement dans un groupe de rock (3, 4 personnes en moyenne) il est facile de se mettre d'accord d'un regard ou encore d'un geste discret signaler à l'ingé son qu'on souhaite un peu plus de retour etc...
Quand il y a + de 20 musiciens c'est déjà plus compliqué...
D'ailleurs les quatuors et autre composition restreinte ont rarement (pour ne pas dire jamais) de chef d'orchestre.
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1: le vol du bourdon version guitare version accordeon
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