Un homme avait le numéro de loterie 60 015. Le 60 016 sortit. Cet homme crut avoir été près de gagner.
Tout le monde en toute occasion pense de même. J'ai failli tomber, mourir, faire fortune. L'histoire est pleine de ces raisonnements.
Paul Valéry – Mélanges.
C’est vrai que c’est rageant de rater le gros lot à un chiffre près. Surtout quand ce chiffre est le dernier et qu’on a cru être le gagnant jusqu’à l’ultime moment. Car ce qu’on perd c’est l’espoir, un espoir qui grandissant d’instant en instant avait fini par se muer en certitude.
- Plus encore : le raisonnement du joueur est qu’il a perdu au chiffre des unités près – et non à celui des centaines ou des milliers. Exemple : que le nombre gagnant soit le 70015, plutôt que le 60016, et voilà notre joueur moins déçu : il a perdu 10000 près. La loterie sert aussi à révéler ce genre de raisonnement.
Toutefois, qu’on perde à un chiffre près ou à dix chiffres près, quelle différence ? De toute façon on a perdu.
Exemple plus élevé ? On attendait Grouchy et ce fut Blücher : Napoléon a failli vaincre à Waterloo. L'histoire est pleine de ces raisonnements.
On refuse donc la logique du tout ou rien. C’est justement au déni de cette évidence que Valéry s’intéresse : on raisonne ici non pas dans le tiers-exclu (je gagne ou je perd, il n’y a pas d’autre possibilité), mais dans une gradation qui nous console d’avoir perdu. J’ai perdu, oui, mais j’ai failli gagner – il s’en est fallu d’un poil !
Le plus étonnant est que ce soit là un sophisme que tout le monde répète.
Tout le monde ? Est-ce si sûr ?
Demandons aux compétiteurs, aux sportifs de haut niveau ce qu’ils en pensent : « il n’y a que la victoire qui est jolie » disent-ils.
Quoique… Demandez aux rugbymen qui ont perdu dimanche dernier à un point d’écart (1) ce qu’ils en pensent. Est-ce que la douleur de la défaite n’était pas plus cuisante que s’ils avaient perdu de 25 points ?
(1) C’était 29 à 28.
No comments:
Post a Comment