Tuesday, April 27, 2010

Citation du 28 avril 2010

Une fois n'est pas coutume.

Formule d'absolution à l'usage des bourgeois. Tout va bien si la coutume n'est pas implantée. L'essentiel c'est de ne tuer son père qu'une fois.

Léon Bloy – Exégèse des lieux communs

L'essentiel c'est de ne tuer son père qu'une fois… Belle pensée, je soupçonne même notre auteur d’avoir écrit le début uniquement pour amener cette fin. Parce que tout de même, s’agit-il seulement d’une formule ironique visant l’hypocrisie des bourgeois, toujours prêts au pire à condition de ne pas y succomber trop souvent ?

Et si on la prenait au sérieux, cette formule ? Si effectivement il fallait « tuer son père » (meurtre symbolique il va sans dire) ?

- Oui, mais celui qui tue son père est orphelin : son sort est-il donc meilleur que celui du fils qui a encore son papa ?

- Je me rappelle avoir lu un livre de Camus (roman posthume et autobiographique) qui s’appelle Le premier homme. Il évoquait l’arrivée en Algérie dans les années 1830, de ses ancêtres, et il comparait leur destin au sien, orphelin dès le plus jeune âge. Voilà des gens qui, comme le premier de tous les hommes, ont eu tout à inventer sans aucun modèle, en tout dénuement, en toute liberté. Celui qui a « tué le père » (comme disent les freudiens) est l’orphelin qui ne le pleure pas, qui ne se définit pas en gardien d'héritage. Il est celui qui a dépassé les interdits et les normes qu’on lui avait imposées – et qu’importe que ce ne soit pas le père qui les ait inventée : c’est toujours au nom de la loi du père (1).

On a compris que la difficulté est double :

- D’une part il faut effectivement tuer son père. Mais le but étant de libérer ses forces créatrices il ne faut pas rater son coup, sinon ça va tourner à l’obsession et c’est pire encore. C’est d’ailleurs pour cela que notre auteur dit qu’il ne faut tuer son père qu’une fois.

- D’autre part il faut articuler les principes qui viennent de notre tradition (familiale ou pas) dans la mesure où elles renforcent notre capacité, avec notre propre force inventive.

Autant dire que le plus difficile n’est pas de tuer son père, mais d’en conserver la substance profitable.

C’est pour ça que Freud disait que les premiers hommes, après s’être coalisés contre le père-chef de la horde et l’avoir tué, l’ont mangé (2)


(1) Je n’aime pas trop les formules toutes faites, mais sans cet hommage rendu à Lacan on m’aurait soupçonné moi aussi d’avoir tué mon père.

(2) On aura reconnu le repas totémique de Totem et tabou.

1 comment:

Sophie said...

Décidément j'ai beaucoup de plaisir à retrouver votre blog tous les matins !
sophie (des grigris)