Il ne faut pas plus d'attention pour lire Voltaire que pour entendre un homme qui parle. Aussi, en le lisant, on a l'attitude d'un homme qui écoute plutôt que l'attitude d'un homme qui lit. - Il a mis dans ses livres un degré de clarté qui n'est nécessaire que dans les conversations ordinaires.
Joubert – Carnets (4 septembre 1806)
Je laisserai de côté la diatribe anti-Voltaire : après tout chacun peut se faire une opinion par lui-même.
Par contre on peut être étonné – voire même choqué – de lire qu’on lui reproche d’avoir mis dans ses livres un degré de clarté qui n'est nécessaire que dans les conversations ordinaires.
La clarté des propos n’est donc pas nécessaire ? Pire encore : elle serait exclusive de leur profondeur ?
Qui donc a oublié la remarque grinçante de Nietzsche à propos de je ne sais plus quels philosophes : ils ont troublé leurs eaux pour qu’elles paraissent profondes…
Et celle de Boileau : Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement, / Et les mots pour le dire arrivent aisément (voir ici).
Tout dépend des critères choisis pour définir la clarté. Joubert semble bien l’identifier à l’immédiateté : dans la conversation, il faut comprendre tout de suite et non 6 heures après (comme avec ce qu’on appelle l’esprit de l’escalier). Alors c’est vrai, clarté est synonyme d’absence d’effort, et l’absence d’effort implique largement la superficialité.
Mais alors que faire de la complexité ? Sans doute est-elle liée nécessairement à des sujets dont on ne peut alléger la substance sans les dénaturer grandement. Mais si la complexité existe, alors adieu l’immédiateté. Il faut du temps pour comprendre certains raisonnements – et je ne pense pas seulement à la philosophie, mais aussi aux mathématiques.
C’est donc l’occasion de se rappeler le début de la citation de Joubert : il critique Voltaire pour ses écrits. A la différence de la conversation, ce qui caractérise l’écrit, c’est sa densité. Les livres de Voltaire doivent leur clarté non à une vertu particulière mais à une lacune : ils manquent de densité.
Méfions nous des livres qu’on lit pour la première fois en ayant l’impression de tout comprendre – voire même de les avoir déjà lus mille fois. Ou bien ils sont très ordinaires ; ou bien c’est nous qui ne les comprenons pas.
Car avoir l’impression de comprendre c’est aussi une façon de ne pas comprendre.
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