La lecture de tous les bons livres est comme une conversation avec les plus honnêtes gens des siècles passés.
Descartes – Discours de la méthode (1ère partie)
La lecture …une conversation avec des gens des siècles passés : appartenir au passé est pour ces auteurs un avantage indéniable (sinon, qu’auraient-ils à nous apprendre ?) ; mais c’est aussi un inconvénient.
Déjà notre philosophe s’empresse de nous expliquer que les livres du passé ne nous suffisent pas : il faut en écrire de nouveaux. Et pour cela inventer, raisonner à nouveaux frais sur des observations et des expériences inédites.
Mais il y a encore quelque chose qui vient pénaliser la lecture – en particulier celle des auteurs du passé.
C’est que nous nous ne savons pas absolument tout des textes qu’ils ont lus et des expériences auxquelles ils songent en écrivant leurs livres ; et que sans cette connaissance nous sommes bien en peine de comprendre totalement leurs livres.
Voyez Descartes : il ouvre Le discours de la méthode par une autobiographie intellectuelle. Le premier (ou l’un des premiers, je ne sais), il reconnaît l’utilité de nous raconter ses années de formation, ses voyages, l’ambiance de ses découvertes – et de nous expliquer ses critiques à l’encontre de ses professeurs. Il sait tout à fait que ce qu’il va nous communiquer est tellement nouveau qu’on ne saurait le comprendre sans ce contexte. Mais malgré cela, il ne nous dit pas tout, parce qu’il écrit pour ses contemporains. Eux savent ce que c’est que d’être collégien chez les Jésuites. Ils connaissent tous les livres que Descartes y a lus et les « disputes » aux quelles il a participé. Ils savent quels sont les traits d’esprits à la mode, les auteurs encensés, les théories mises au pilori.
Bref, tout ce background (cet umwelt) nous manque, peut-être pas irrémédiablement, mais au moins il est significatif que Descartes se soit dispensé de le rappeler, parce qu’encore une fois, il a écrit pour ses contemporains. Nous qui le lisons près de quatre siècles plus tard, nous faisons irruption dans un livre qui n’a pas été fait pour nous.
Est-ce si important ? Après tout les idées sont ce qu’elles sont : un théorème d’Euclide doit rester compréhensible malgré les siècles qui nous en séparent.
Alors, voilà deux choses que je voudrais dire :
- La première c’est qu’effectivement ce qu’écrit Euclide est à peu près intelligible pour nous aujourd’hui encore et c’est le signe de la différence entre les sciences formelles et des autres productions de l’esprit humain.
- En suite, que grâce à la théorie de l’hypertexte, inventée par Ted Nelson, nous savons qu’un texte n’est pas une réalité absolue, que son sens est relatif aux autres textes auxquels il renvoie. Un hypertexte, c’est un texte plus l’ensemble des autres textes qui peuvent le modifier : autant dire que le sens d’un texte, c’est la somme de ces sens.
Mais tous les textes sont en ce sens des hypertextes.
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