Personne plus que moi n'a le droit de dire la vérité aux chiens. J'ai appartenu pendant dix années à un très beau chien de Terre-Neuve ; entre nous, les relations ordinaires étaient renversées : j'étais soumis, humble, fidèle comme un chien ; il était capricieux, bizarre, ingrat comme un homme. C'était moi qui étais son ami. Eh bien ! après une liaison de dix ans, il a entrepris par deux fois de me dévorer, et m'a forcé de résumer ainsi notre amitié : 1e les chiens ne valent pas mieux que les hommes ; 2e mon chien m'aimait comme on aime le bifteck.
Alphonse Karr – Une poignée de vérités
…mon chien m'aimait comme on aime le bifteck. Voilà qui fait frémir et on se prend à se demander combien de personnes dans notre entourage nous aiment de cette façon…
Mais, détournons notre regard l’espace d’un instant de cette conclusion pessimiste, et constatons qu’Alphonse Karr ignorait absolument tout du chien et que c’est cela qui a failli lui coûter la vie.
Car s’il lui est arrivé d’appartenir pendant 10 ans à un très beau chien Terre-Neuve, alors il a eu de la chance que ça dure si longtemps sans souci.
C’est que le chien est un animal de meute, et que dans la meute il y a une hiérarchie qui se détermine à coup de crocs. Il s’agit pour l’homme d’être le maître de la meute même si celle-ci se réduit à un seul animal – et malheur à celui qui laisse son chien devenir le chef de meute. C’est vrai des chiens ; c’est vrai des hommes.
On s’indigne du comportement des supporters de football, considérant que ce sont des abrutis qui se sont réunis uniquement pour assouvir plus commodément leur passion de la violence. Mais on se trompe : un supporter isolé est un brave garçon qui ne ferait pas de mal à une mouche, sauf si elle portait le maillot de l’équipe adverse. C’est que les hommes aussi ont besoin de se retrouver en meute pour sentir grandir en eux l’instinct de la violence. S’agit-il d’une tendance ancestrale qui a permis à l’humanité de survivre dans le monde dangereux des origines ? Peut-être. A moins qu’il s’agisse du comportement des foules décrit par Gustave Le Bon, pour qui c’est la conscience individuelle qui défaille alors, laissant place au comportement irrationnel.
Toute la question est alors de savoir combien il faut d’individus pour constituer une foule.
P.S. J’avais il y a longtemps discuté un proverbe constituant l’antithèse de cette citation : Plus je connais les hommes, plus j’aime mon chien.
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