Quand bien nous pourrions être savants du savoir d'autrui, au moins sages ne pouvons-nous être que de notre propre sagesse.
Montaigne – Essais
[Ici, le Pharaon s’adresse à Theuth, l’inventeur légendaire de l’écriture]
« …lorsqu'en effet, avec toi, ils auront réussi sans enseignement, [grâce à l’écriture], à se pourvoir d'une information abondante, ils se croiront compétents en une quantité de choses, alors qu'ils sont, dans la plupart, incompétents; insupportables en outre dans leur commerce, parce que, au lieu d'être savants, c'est savants d'illusion qu'ils seront devenus ! »
Platon – Phèdre 275b (1)
Quelle différence faire entre un perroquet et un vrai savant ? C’est que celui-ci est sage et l’autre ne l’est pas. Autrement dit, la sagesse ne dépend pas simplement de la possession d’un savoir, et qu’en réalité, pour posséder un savoir, il faut aussi savoir s’en servir – et non le réciter. Est sage, celui qui tire un usage de ce qu’il sait.
Mais je n’oublie pas Platon : le Pharaon qui chasse Theuth, l’inventeur de l’écriture, souligne opportunément ce que nous redécouvrons aujourd’hui : que l’information n’est pas le savoir. Je peux, grâce à Theuth, lire et même comprendre ce que d’autres ont écrit ; je peux aussi conserver tout ça dans ma bibliothèque - ou dans mon disque dur. Je n’en serai pas plus savant pour autant si je n’intègre pas ce savoir à l’ensemble de ce que je sais déjà.
Tout cela est bien connu – et bien oublié. Car c’est Platon et Montaigne qu’il faudrait citer aux étudiants qui pompent leurs thèses ou leurs mémoires sur Internet. (2)
Mais il y a quelque chose que l'on observe aujourd’hui encore plus qu'autre fois : c’est que plus l’information est abondante, plus le savoir est difficile à maitriser. Plus j'en sais et moins je sais.
Or, c’est bien l’abondance d’information qui fait problème aujourd’hui. Comment s’y retrouver dans les milliers d’occurrences proposées pour un seul mot par un moteur de recherche-Internet ? Par exemple, lancez une recherche sur « Theuth » : des dizaines de pages de références vous sont proposées. Si vous n’avez aucune connaissance, si vous ne maitrisiez rien du tout avant, vous ne maitriserez rien du tout après non plus.
Aujourd’hui, la sagesse consisterait donc non pas à acquérir du savoir, mais à limiter cette ambition. Il ne s’agit certes pas de valoriser l’ignorance, mais de conseiller d’accroitre notre savoir en déplaçant ses frontières, et non en prétendant investir un territoire inconnu, comme un commando parachutiste.
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(1) Lire le texte ici
(2) Et je n’oublie pas les jeunes profs qui pompent leurs cours là aussi. Mais eux, je les excuse : avec un plein service dès leur première année d’exercice, comment faire autrement ?
2 comments:
merci de votre visite
sur l'abjection
et beau sujet le savoir
et je remarque de scène en scène
le niveau de savoir que je croise dans les yeux du public..
au point que parfois je renonce à certains textes c'est nouveau
je vous embrasse jean pierre
mon cerveau est encore endormi
Bravo une fois de plus !
F'(RYDOC)
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