Vous êtes une paille dans l’échantillon, Winston, une tache qui doit être effacée. Est-ce que je ne viens pas de vous dire que nous sommes différents des persécuteurs du passé ? Nous ne nous contentons pas d’une obéissance négative, ni même de la plus abjecte soumission. … Avant de le tuer, nous en faisons un des nôtre.
Georges Orwell – 1984 (1)
Suite du Post du 19 mars
Avant de le tuer, nous en faisons un des nôtre… Ce texte devrait être médité par tout démocrate : là où les ennemis du pouvoir ont disparus, là est la tyrannie. C’est même la raison pour laquelle les élections à 99,9% non truquées sont un effroyable indice. (2)
L’unanimité est un marqueur de la tyrannie, parce qu’elle n’est jamais naturelle, et qu’elle révèle les manipulations des gouvernants. Tout cela est bien connu, et Durkheim le signalait déjà, lorsqu’il rappelait l’impossibilité que les lois soient partout et toujours obéies.
- Le texte d’Orwell est bien plus glaçant encore : il nous explique le sens de ce qui existait déjà à son époque, je veux dire les procès de Moscou (3). Ce que veut le tyran, avant même de gouverner les corps et les esprits, c’est régner sur d’abord les cœurs. Et c’est ça le plus difficile.
D’ailleurs, Machiavel le déconseillait au Prince : ne cherchez pas à vous faire aimer de tous, vous n’y arriverez pas. Tentez plutôt de vous faire craindre de chacun : c’est beaucoup plus facile.
--> On serait tenté de donner raison à Machiavel contre Orwell : ce dernier a écrit un roman qui n’est justement qu’une fiction – alors que l’essai de Machiavel a été lu et relu au long des siècles, détesté, certes, mais jamais contesté.
Si c’est vrai, tant mieux : je ne demande pas mieux. Mais attention : si l’amour n’est jamais garanti et jamais acquis une fois pour toutes, reste que le Pouvoir peut encore et encore tenter de l’obtenir. C’est comme on dirait aujourd’hui, dans son ADN.
Donc, méfiez-vous d’un pouvoir qui tente de se faire aimer : il vous cache quelque chose, comme le boucher qui approche de la volaille en cachant le couteau dans son dos.
Voilà un conseil bon à prendre en cette période de Campagne électorale.
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(1) Voici le texte complet : « Vous êtes une paille dans l’échantillon, Winston, une tache qui doit être effacée. Est-ce que je ne viens pas de vous dire que nous sommes différents des persécuteurs du passé ? Nous ne nous contentons pas d’une obéissance négative, ni même de la plus abjecte soumission. Quand, finalement, vous vous rendez à nous, ce doit être de votre propre volonté. Nous ne détruisons pas l’hérétique parce qu’il nous résiste. Tant qu’il nous résiste, nous ne le détruisons jamais. Nous le convertissons. Nous captons son âme, nous lui donnons une autre forme. Nous lui enlevons et brûlons tout mal et toute illusion. Nous l’amenons à nous, pas seulement en apparence, mais réellement, de cœur et d’âme. Avant de le tuer, nous en faisons un des nôtre. »
D’autres extraits à lire ici.
(2) D’ailleurs nous avions déjà rencontré ici cet abject amour pour le dictateur.
(3) On donnerait, plus près de nous, l’exemple des séances d’autocritiques publiques dans les régimes communistes de Chine ou du Vietnam.
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