La mort est l'espérance de qui n'en a plus.
Adolphe Thiers
"Ô toi qui entres ici abandonne tout espoir !"
Dante - La divine
comédie – L’Enfer. (Cité le 3/3/2006)
Monsieur de
Lapalisse, un quart d’heure avant sa mort était encore en vie : et
qu’est-ce qu’il a fait de ce quart d’heure ? Il s’est réjoui d’avoir
encore un espoir : celui de mourir bientôt…
On quitte une lapalissade pour tomber dans une autre. Et
encore celle-ci n’est-elle pas gaie.
Pas gaie ? Peut-être – mais optimiste quand
même : ne plus avoir aucun espoir c’est réservé à celui qui est passé de
l’autre côté de la frontière qui nous sépare du pays de la mort, et qui chemine
vers les portes de l’enfer – portes sur lesquelles se trouve gravée la
sentence de Dante : Toi qui entres
ici abandonne tout espoir…
--> Pour endurer les souffrances présentes suffit-il
donc, comme le pensait Epicure, de réaliser qu’elles sont promises à cesser
dans la mort – dans un petit moment (1) ? On peut en douter :
« Bof… dira le condamné à mort. La belle affaire ! Quelle belle
espérance que la mort ! Mourir bientôt ? Mais c’est justement cela
qui me désespère ! Moi je dis, comme madame Du Barry au pied de
l’échafaud : « De grâce,
monsieur le bourreau, encore un petit moment. » (Voir ici)
- Ce qu’il faut comprendre, c’est que l’espoir est
attaché à l’existence d’un avenir. Oh, pas forcément d’un grand ni d’un bel
avenir. Simplement que l’instant présent soit ouvert sur un instant suivant,
mais non pas de façon « mécanique » comme avec le compte à rebours
qui va déclencher le couperet de la guillotine ; il suffit que l’instant
présent bascule sous l’impulsion de ma liberté.
L’espérance est l’effet de la liberté, quand bien même
celle-ci serait limitée au fait de choisir de mourir quand rien d’autre n’est
plus possible.
Toutefois, choisir dans ce cas, ce n’est pas nécessairement
choisir de mourir plutôt que de vivre, puisqu’on suppose que le cas est déjà
tranché. S’agirait-il alors de mourir comme ci ou comme ça : en héros ou
en lâche ?
Pas sûr non plus : si je suis lâche comme Garcin
dans Huis-clos, je n’ai même pas ce
choix à faire : la lâcheté, c’est ma nature, c’est mon essence – je
n’y puis rien. (2)
Alors, c’est vers les Stoïciens qu’il faut se
tourner : la liberté disent-ils c’est de consentir au sort qui m’est fait.
Encore faut-il bien entendre l’expression « consentir » : ça veut simplement dire ne pas s’émouvoir,
ni se révolter. Ce qu’il faut, c’est comprendre que ça ne dépend pas de nous,
que ça n’a rien à voir avec nous. Il ne s’agit donc pas d’aimer ce qui nous
arrive, mais simplement de ne pas nous en troubler ni de nous en désespérer. Et
cela c’est déjà une manifestation de notre liberté, puisque ça suppose qu’on fasse
effort pour abandonner une attitude spontanée de révolte et de désespoir.
L’espérance pour qui n’a plus d’espoir, c’est d’avoir
encore ce tout petit degré de liberté.
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(1) Tel était rappelons-nous, l’un des remèdes d'Épicure.
(2) Pour ceux qui objecteraient que Sartre a affirmé que
l’homme n’a pas d’essence, et qu’il se réalise librement durant son existence,
je rappellerai que justement Garcin s’est constitué en lâche par ses actes de
lâche (c’est un déserteur et en plus au moment d’être fusillé il s’est comporté
lamentablement). Ce n’est donc pas qu’il n’y ait pas d’essence, mais simplement
qu’elle s’est créée au cours de l’existence.
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