Fernando Pessoa – Le
Livre de l’intranquillité
Hier encore je célébrais l’effort, mais aujourd’hui je me
sens tout fatigué – et je me dis : « N’ai-je pas perdu quelque
chose en route ? » Je veux dire : si j’étais resté dans mon lit
au lieu d’aller casser des cailloux sur le chemin n’aurais-je pas eu raison au
bout du compte ?
Est-ce qu’en agissant je ne suis pas passé à côté de
quelque chose ?
L’idée est suffisamment simple pour paraître une
évidence : entre le rêve et la vie réelle, il y a l’écart qu’on trouve
entre le fantasme et la réalité. L’un est tout entier fait pour exprimer et d’une
certaine façon satisfaire notre désir ; l’autre l'ignore superbement,
au point que ce (bas-)monde est souvent défini comme une vallée de larmes.
Pessoa ajoute quelque chose de plus original : nous passons
de l’un à l’autre en faisant effort pour agir – c’est-à-dire pour transformer
la réalité, ou du moins pour nous y
insérer. A chaque fois que j’agis, je détruis ou je paralyse mon rêve. Un peu
comme Gérard Philippe, le rêveur des Belles de nuit, je ne devrais me réveiller qu’en espérant me rendormir bientôt.
On se dit alors : à quoi bon trimer pour obtenir des
petits bonheurs sans consistance ni durée alors que nous avons un champ
indéfini de plaisirs offerts par nos rêves ?
--> Mais quand même, voyons un peu ce qui se passe
réellement : est-il si sûr que nous transportions – péniblement et avec
effort – un petit bout de notre rêve dans la vie réelle ? Pessoa nous dit
qu’on va du rêve à l’action – avec l’illusion de le retrouver réalisé. Mais en
réalité, c’est l’inverse qui se passe : on va du réel au rêve –
entendez : on est prié de croire que la réalité, c’est juste ce dont on
aurait pu (ou dû) rêver.
Et bien sûr, cette
réalité-là, il faudra trimer pour l’obtenir : gagner des sous pour acheter
la belle voiture, le beau costard, le voyage à Ibiza, et sembler alors être un
beau-mec, super viril et respecté de tous
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