[C’est Balzac qui parle]
« Je saupoudre quelquefois mes romans d'une bonne petite obscurité
afin que le bon lecteur se prenne la tête à deux mains et se dise : (…) "Ça me dépasse ! Sapristi ! tout de même,
comme ce Balzac est fort !"
Albert Cim –
Récréations littéraires
Eloge de
l’obscurité I
Et d’abord, l’obscurité littéraire. Le commentaire de
Balzac est quant à lui on ne peut plus clair : l’obscurité dans un texte
est un stimulant qui peut mécaniquement concentrer l’esprit du lecteur sur la
page du livre qu’il lisait peut-être rêveusement – selon un axiome qui
fonctionne à tous les coups : tout ce qui est opaque est profond.
Il y a donc dans les romans que nous lisons des
obscurités qui relèvent de la manipulation du lecteur, des obscurités
non-signifiantes, qu’on aurait pu éviter sans que l’œuvre en pâtisse,
puisqu’elles n’agissent qu’au moment de la lecture.
Le problème est qu’il y a mille et une obscurités
différentes, et que l’on est parfois dans l’incertitude de l’origine de celle
sur laquelle nous butons (1). Mais on peut sans doute faire notre apprentissage
avec les romans policiers qui nous offrent la lumière à la fin, quand tout est
dit. C’est là qu’on peut faire la distinction entre les obscurités nécessitées
par l’intrigue et celles qui n’ont été disposées que par artifice, pour rendre
plus mystérieux ce qui ne l’était pas suffisamment. Il s’agit de pages qu’on
pourrait réécrire sans rien omettre qui puisse donner à comprendre l’intrigue –
et sans qu’on en perde rien de son intérêt.
Je réclame, au nom du droit imprescriptible du lecteur à
être considéré comme un être doué de pensée, le droit de réécrire tel ou tel
passage d’un roman – ou d’un essai – de telle sorte que tous les procédés
visant seulement à manipuler son
intérêt ou son admiration soient impitoyablement éliminés.
Exemple : rétablir l’ordre des chapitres qui
permettent de comprendre d’où viennent certains personnages qui sont interpolés
d’épisodes qu’on nous découvre plus loin dans le récit tel que voulu par l’auteur.
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(1) En philosophie, Heidegger et Lacan incarnent
l’obscurité de langage la mieux connue. Mais bien avant eux, c’est Héraclite
qu’on a surnommé l’obscur.
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