Alors, tout doucement, petit à petit, soir après soir, pour avoir chaud, mais pour ne pas se blesser, [les hérissons] s’approchèrent les uns des autres, ils abaissèrent leurs piquants, et avec mille précautions, ils trouvèrent enfin la bonne distance.
Arthur
Schopenhauer – Parerga et
paralipomena (Fable des hérissons – Publié le 10-11-2013)
Le renard se tut et regarda longtemps le petit prince:
- S'il te plaît... apprivoise-moi ! dit-il. […]
- Que faut-il faire? dit le petit prince.
- Il faut être très patient, répondit le renard. Tu
t'assoiras d'abord un peu loin de moi, comme ça, dans l'herbe. Je te regarderai
du coin de l'œil et tu ne diras rien. Le langage est source de malentendus.
Mais, chaque jour, tu pourras t'asseoir un peu plus près...
Saint-Exupéry – Le
petit Prince
o-o-o
Intimité III
Parmi les différences entre l’amour et l’amitié, il ne
faut pas négliger celle de la durée : l’amour procède de l’instantané,
ainsi que le montre le coup de foudre. L’amitié quant à elle demande pour
naitre du temps, beaucoup de temps. En revanche il semble bien que, si l’amour
risque de s’user avec le temps, l’amitié par contre s’accroit d’année en année,
un peu comme le tronc de l’arbre – cerne après cerne.
C’est ce que les hérissons de Schopenhauer et le renard
de Saint-Exupéry nous montrent : en amitié le temps et l’espace évoluent
conjointement. La durée est consacrée à réduire la distance qui sépare les amis :
la proximité de l’intimité, qui est donnée avec l’amour dès ses premières
manifestations, n’est découverte par les amis que petit à petit, très
progressivement, comme une conquête précieuse qu’il ne faut pas précipiter.
On pourrait s’étonner : pourquoi perdre ainsi son
temps ? Entre des personnes qui s’estiment et qui sont susceptibles de se
rapprocher au point de devenir amis faut-il une telle durée ? Sans
ironiser sur les amis Facebook qui se font en un clic, qu’avons-nous à faire de
cette épreuve du temps ?
Qu’est-ce que le Renard craint donc de la part du Petit
Prince ? La même chose que le hérisson de la part de ses semblables :
la blessure. L’ami doit apprendre à ne pas blesser son ami ; il doit
respecter son « jardin secret », et même s’il finit par tout savoir
de lui, il doit accepter que cette distance résiduelle ne disparaisse jamais.
C’est peut-être cela qu’on veut dire quand on dit que
l’amitié exclut le rapport au corps de l’autre, en clair qu’entre homme et femme,
l’amitié n’est possible qu’à condition que le désir ne vienne pas s’immiscer.
Et quoi donc ? Si je m’envoie en l’air avec une
amie, qu’est-ce que ça fait ?
Personnellement je n’ai pas essayé – par contre
Schopenhauer et Saint-Exupéry ont dû le tenter : selon eux, c’est l’échec
assuré.
A suivre…
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