Le plus grand
mystère n'est pas que nous soyons jetés au hasard entre la profusion de la
matière et celle des astres ; c'est que, dans cette prison, nous tirions
de nous-mêmes des images assez puissantes pour nier notre néant.
André Malraux
Le lecteur pressé dira peut-être, lisant cette citation :
« Ah oui ! C’est du Pascal », songeant sans doute aux Deux infinis.
Mais il se tromperait : car si nous sommes selon
Pascal un néant face à Dieu, nous sommes en revanche immensément grands face à
l’infiniment petit du ciron (1). Et surtout, alors que Pascal se sert de cette
image pour ruiner notre prétention à connaitre l’univers, Malraux en tire
argument pour valoriser notre pouvoir de création.
Que dit Malraux ? Que si nous sommes, de par la
faiblesse de notre constitution, contraints de rester dans cette pitoyable
geôle qu’est notre monde humain, par contre nous pouvons nous en évader par cet
incroyable pouvoir que nous confère l’imagination créatrice. On sait qu’Homère
était aveugle et que Beethoven était sourd : ils ont su pourtant
s’immortaliser par leurs créations. Qu’on examine leur vie et leurs coutumes,
rien ne pourra expliquer leur pouvoir créateur – celui dont Malraux dit
justement qu’il est assez puissant pour nier notre néant.
A la différence de
Dieu, ce que l’homme crée est plus grand que lui-même.
Du coup, les créations humaines sont inexplicables, parce
qu’elles sont imprévisibles. C’est Nietzsche qui disait : Une pensée vient quand elle veut, et non pas
quand je veux (lire ici). Bien sûr ça ne signifie pas qu’une pensée ne
puisse être attachée à une autre comme le wagon à la locomotive. Mais il s’agit
là des phénomènes de remémoration, quand il s’agit de reproduire ce qu’on a su
déjà. Par contre quand il faut inventer on n’est plus dans la même logique.
Tout ce que nous pouvons faire, c’est libérer notre imagination créatrice quand
elle est refoulée par la raison (ce qu’ont préconisé les surréalistes), mais
rien de plus.
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(1) Ciron :
vous savez, l’acarien qui se balade dans votre oreiller quand vous dormez et
qui vous colle des crises d’asthme ? A l’époque de Pascal on le
considérait comme l’argument pour une régression à l’infini. Cet animalcule, disait-on,
si petit soit-il doit aussi avoir tout comme nous des yeux, des bras et des
jambes : il existe donc un monde à sa taille. Et en plus, rien ne prouve
que n’existe pas des insectes dont la taille soit, par rapport au ciron, aussi
petite que le ciron par rapport à nous.
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