Il faut tenir [l'énigme] comme une des formes les plus
anciennes de la pensée. "Le matin
sur quatre pattes, à midi sur deux, le soir, sur trois." Il est clair
que ce n'est qu'un jeu ; mais aussi ce plaisir de trouver un sens à l'absurde
ne s'use point. Il faut que l'esprit se mette d'abord dans le cas de renoncer ;
c'est là qu'il renaît ; c'est sur le point de ce réveil qu'il se connaît
pensant.
Alain – Les idées et
les âges
Eloge de
l’obscurité II
Avant-hier, l’obscurité était inventée de toute pièce pour
exciter le lecteur et faire admirer l’auteur, aujourd’hui, la voici énigme conçue
comme excitant de l’esprit.
L’homme est joueur, il aime les défis et la
compétition : le Sphinx auquel Alain fait allusion ici était le partenaire
rêvé, car pour jouer il exigeait un enjeu formidable : la vie du joueur
(1).
Le but du jeu dont nous parle Alain est de trouver du
sens là où il n’y en a pas – mieux même : là où l’absurdité condamne à
l’avance la découverte de signification. Reste bien sûr que trouver du sens ne
garantit pas que ce sens soit le bon : après tout, si une autre réponse, en
plus de celle d’Œdipe, avait été proposée, où aurait été la bonne
réponse ? Beaucoup de gens sont passés maitres dans l’art de « donner
du sens » à ce qui n’en a pas (= les psys sont en tête dans ce palmarès –
juste devant les philosophes) et rien ne prouve que leurs découvertes vaillent
ailleurs que dans leur jeu.
Tout cela ne nous avancerait donc guère si l’on ne savait
quelles sont les conditions du jeu auquel l’esprit accepte de s’inviter.
« Il faut que
l'esprit se mette d'abord dans le cas de renoncer ; c'est là qu'il renaît ;
c'est sur le point de ce réveil qu'il se connaît pensant. » La voilà
la réponse du philosophe : c’est dans le vertige du non-sens que l’esprit
sur le point de s’enfoncer renait en découvrant malgré tout une signification dans
un ultime sursaut. Et qu’importe quel sens il a découvert, car ce qui compte,
c’est qu’il se reconnaisse dans cette création comme pensant et non
sommeillant.
Et donc, le vrai but du jeu c’est de nous remettre
à penser.
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(1) Rappelons que le Sphinx était féminin et qu’elle
s’est suicidée quand Œdipe découvrit la réponse à son énigme.
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