Montaigne – Essais
Tout coule (= Tout passe) (Ta panta rhei)
Héraclite
La « branloire
pérenne » est un oxymore : ce qui dure c’est ce qui a atteint son
point d’équilibre, donc qui est immobile. Le déséquilibre caractériserait
plutôt ce qui est en crise, donc ce qui ne devrait pas durer. Et pourtant,
depuis 40 ans (1) nous vivons dans une crise qui nous parait sans fin.
Ne nous désespérons pas de voir la « crise »
durer indéfiniment : ce qu’on observe, c’est simplement le monde comme il
va. Un coup à droite, un coup à gauche. Un coup tranquille, un coup agité. Un
coup prospère, et puis anémique…
Ce qui s’oppose à cette vision du monde, ce sont deux
choses :
- La vision historique – qui certes
suppose des changements, mais des changements continus, chaque nouveauté venant
s’inscrire dans une évolution. Ce qui suppose qu’il ne s’agit pas comme avec la
branloire d’osciller autour d’un
point d’équilibre où elle ne se stabilisera jamais, mais de progresser en
direction d’une issue qu’on imagine « pérenne »
donc stable.
- L’impression que le monde ne
peut être solide que s’il reste immobile, c’est cela qui nous fait identifier un
changement avec une crise, c’est à dire quelque chose de pathologique. Les
apocalypses sont toutes construites sur ce modèle : un terrible ébranlement
avec destruction.
Or, aujourd’hui nous avons une autre réalité : c’est
dans ces ébranlements que le monde continue d’exister. Il ne s’agit même pas de
dire : à l’heure où nous parlons, il y a des montagnes qui surgissent – ou
qui continuent de surgir – alors que nous croyons que tout ce qui bouge
s’effondre. C’est possible, mais c’est encore une vision restreinte. En
réalité, tout bouge en permanence,
comme le disait Héraclite : tout
coule, et nos continents – quoi de plus solide, que la terre que nous avons
sous les pieds ? – sont entrain de bouger, certains d’entre eux de
s’engloutir sous les autres.
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(1) C’est à dire depuis 1973, date du premier choc
pétrolier
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