Louis-Ferdinand Céline - Voyage au bout de la nuit
Si Céline a raison, alors les français sont très malheureux,
car ce sont eux qui, de tous les européens, consomment le plus de somnifères.
(1)
Mais : a-t-il raison ? Devons-nous croire qu’être
malheureux nous empêche de dormir – et puis c’est tout !
De fait, Céline ne dit pas cela : s’il laisse entendre
que l’insomnie reflète l’état de veille, c’est que le sommeil fait partie d’une
réalité profonde de notre être. Si nous sommes vraiment malheureux, alors nous
le sommes jusque dans notre sommeil, un peu comme lorsqu’on nous ampute d’une
jambe, celle-ci nous manque aussi quand nous dormons.
Maintenant, on pourrait aussi se demander si, à l’inverse,
le manque de sommeil ne se manifeste pas spécialement en raison de certains
malheurs, dont l’influence disparait dans la vie éveillée dans le feu de
l’action. Il s’agit de l’angoisse de la culpabilité dont on connaît le rôle
dans Macbeth, le drame de Shakespeare (2). Dans ce cas, Céline dirait que le
plus grand malheur est le complexe de culpabilité, et que si nous dormons
« du sommeil du juste », alors nous n’avons pas à nous plaindre. Pour
s’endormir, il faut accepter ce face à face avec nous-mêmes, et faire notre
examen de conscience. Certains veulent se dérober à cela, en se remplissant le
crâne de dérivatifs ennuyeux recherchés justement pour cela (ah ! la
lecture destinée seulement à favoriser
l’endormissement !)
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(1) Et il paraît que
ça continue à augmenter ! Voir ici.
(2) «Ne dormez plus!
Macbeth assassine le sommeil, l'innocent sommeil, le sommeil qui débrouille
l'écheveau confus de nos soucis; le sommeil, mort de la vie de chaque jour,
bain accordé à l'âpre travail, baume des âmes blessées, loi tutélaire de la
nature, l'aliment principal du festin de la vie.» Macbeth Acte2, scène 2.
Cité ici.
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