Quelle vérité
que ces montagnes bornent, qui est mensonge au monde qui se tient au-delà.
Montaigne (1533-1592)
Plaisante
justice qu’une rivière borne ! Vérité au-deçà des Pyrénées, erreur au-delà.
Pascal (1623-1662) (Lire le texte en
Annexe)
A propos de Wiki et la fonction
copier/coller
Il fut un
temps où les emprunts faits à une œuvre antérieure n’étaient pas dénoncés comme
plagiat, où l’auteur en question n’était pas honni comme fraudeur – on sait ce
qu’il en est aujourd’hui. Je ne parle
pas seulement des auteurs d’essais ou de biographies qui recopient allègrement
des pages entières déjà publiées, je parle aussi des étudiants qui
« pompent » leurs devoirs sur Internet.
Les emprunts
de Pascal à Montaigne sont très nombreux, même si par ailleurs Pascal refuse
d’être assimilé au scepticisme de Montaigne : ici par exemple, il ne
s’agit pas de nous faire accepter l’ignorance du juste et de l’injuste, mais de
nous pousser vers Dieu qui seul possède la vérité qui nous échappe.
Néanmoins, si
Pascal fait de tels emprunts, c’est sans doute qu’à son époque on a l’habitude
d’en faire : peut-être comme Montaigne justement pour se placer sous
l’autorité de l’auteur cité (cf. Post du 30 octobre) ; mais aussi parce
qu’on n’avait sans doute pas la même exigence de respect quant à la référence
de l’œuvre à son auteur. La copie importait peu, seul comptait le
contenu : à quoi bon refaire à nouveaux frais ce qui a déjà été dit ?
Bien sûr, on se rappelle La Bruyère : « Tout est dit et l’on vient
trop tard…. » – ça ne l’a pas empêché d’écrire les Caractères.
Je reviens à
la réflexion qui m’a poussé sur ce chemin : comment reprocher à nos
lycéens (et parfois à leurs profs !) de pomper des pages entières sur
Internet pour les coller telles quelles dans leurs disserts, puisque l’exemple
vient de si haut !
D’ailleurs, tout
« pompage » est-il mauvais ? Le réemploi de ce que contiennent
tous ces livres, qu’on nous a ordonné de lire, est-il interdit, sauf à en mentionner
les références bibliographiques (comme ces bas de pages de thèses
universitaires où les notes référençant les ouvrages cités prennent plus de
place que le texte lui-même !)
Bref :
existe-t-il un bon usage du « pompage » qu’on pourrait distinguer du
« mauvais pompage » ? La seule réponse qui me vient à
l’esprit est ce citer (là encore !) Pascal : voyez son texte en
Annexe : sa pensée y est construite avec méthode, rigueur et solidité.
Cette pensée, quand bien même elle intègrerait des éléments venus d’ailleurs,
est bien sa pensée, ces arguments
sont son œuvre et du coup la
formulation en devient presque anecdotique.
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Annexe – « Sur
quoi la fondera‑t‑il, l’économie du monde qu’il veut
gouverner ? Sera‑ce sur le caprice
de chaque particulier, quelle confusion ! Sera‑ce
sur la justice, il l’ignore. Certainement s’il la connaissait il n’aurait pas
établi cette maxime la plus générale de toutes celles qui sont parmi les
hommes, que chacun suive les mœurs de son pays. L’éclat de la véritable équité
aurait assujetti tous les peuples. Et les législateurs n’auraient pas pris pour
modèle, au lieu de cette justice constante, les fantaisies et les caprices des
Perses et Allemands. On la verrait plantée par tous les États du monde et dans
tous les temps, au lieu qu’on ne voit rien de juste ou d’injuste qui ne change
de qualité en changeant de climat, trois degrés d’élévation du pôle renversent
toute la jurisprudence. Un méridien décide de la vérité, en peu d’années de
possession les lois fondamentales changent. Le droit a ses époques, l’entrée de
Saturne au Lion nous marque l’origine d’un tel crime. Plaisante justice qu’une
rivière borne ! Vérité au‑deçà des Pyrénées,
erreur au‑delà. » Pensées (Fragment Brunschvicg 294)
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