Chaque fois
unique, la fin du monde.
Jacques Derrida – « Concept »
du 11 septembre
Un événement
tragique marque un avant et un après, on le singularise pour conjurer sa
répétition.
Frédéric Worms – Plus jamais ça ?
(Chronique de Libération – 17 juin 2016)
On peut lire en ligne ici le texte de
Worms
A l’horreur
du massacre homophobe d’Orlando, s’ajoute, selon Frédéric Worms, une effrayante
certitude : cet assassinat « de masse » pourtant si unique dans
son surgissement, n’est pas un événement isolé. Bien au contraire : il
n’est que la répétition d’autres événements tout à fait similaires, dont celui
du Bataclan est pour nous un exemple, mais bien sûr en matière d’assassinats de
masse, les américains ont bien d’autres références…
Unique Le
13 novembre, Le 11 septembre ? En réalité, même le philosophe
doit accepter cette étrange contradiction qui consiste à
considérer l’évènement comme unique (du jamais-vu) et pourtant répétable à
l’indéfini : combien de Saint-Barthélemy depuis La Saint-
Barthélemy ? On espère que l’horrible massacre d’Orlando marque la fin
d’un vieux monde et soit le point de départ d’un monde nouveau. Mais dit Worms
« cet événement nous laisse deux
fois brisés : par l’ébranlement à nouveau ; mais aussi par son retour » ;
il porte en lui le sentiment que tout cela non seulement n’est pas nouveau,
mais est encore intégré dans un processus de répétition.
Suivant
Derrida, Worms en tire une conclusion très pratique : il faut bien que
nous croyions à cette singularité de l’événement tragique pour reconstruire le
monde qui vient d’être détruit, même quand ce monde est celui de la maison
profanée et du viol des êtres qui l’habitent.
– « Plus jamais la guerre ! » Fastoche !
- comme si notre volonté pouvait agir là-dessus. Oui, plus jamais ça… Mais
comment faire sans verser dans une naïveté un peu ridicule, dans un idéal
rose-bonbon au quel l’homme sérieux ne devrait pas croire – et qui malgré
tout reconstruit sa maison en disant qu’on verra combien de temps passera avant
qu’elle soit à nouveau envahie et démolie ?
Le philosophe
se transforme alors en moraliste : distinguez dit-il les actes abominables
contre les quels nous devons lutter, des êtres qui les ont commis. Car c’est la
condition à la quelle nous pourrons construire le monde commun sans le quel nous perpétuerions les massacres en
massacrant les massacreurs.
– Comment !
Vous seriez prêts à faire un monde commun
avec tous ces ignobles tueurs ? Nous ce que nous voulons, c’est un monde
nouveau : ne faut-il pas d’abord neutraliser ces assassins – la solution
qui pour être définitive doit être finale
(vous voyez où je veux en venir…) ?
Tous les pays
qui ont connu de telles déchirures (on pense à l’Afrique du Sud, au Rwanda,
mais aussi à la France de la Libération) n’ont pu faire un monde nouveau qu’en
faisant un monde commun ce qui suppose que les victimes acceptent de vivre avec
leurs anciens bourreaux - ce qui constitue une sorte de pardon.
Le Pardon : le mot est lâché !
Que ce soit possible suppose deux choses car, pour imaginer un monde
commun dit Worms, il ne suffit pas de distinguer les massacres des massacreurs.
Il faut aussi faire tout ce qui doit être fait pour que le passé ne se répète
pas, pour que les assassins et les victimes n’échangent pas leur rôle –
indéfiniment.
La
Saint-Barthélemy ? Plus jamais ça ! Et si les musulmans étaient nos
protestants d’aujourd’hui ?
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