L'audace réussit à ceux qui savent profiter des occasions.
Proust
– À la recherche du temps perdu
Pour
profiter des occasions il faut de l’audace : voilà qui
ressemble à une banalité.
Pourtant c’est très exactement ce que les grecs désignaient
comme étant une forme de sagesse très particulière, la phronèsis, science pratique qui est capable de saisir l’action
utile à réaliser lorsqu’un cas particulier se présente. C’est une forme de sagesse
qui complète la sophia et qui est
capable de saisir le kairos, qui
correspond au moment opportun, comme
par exemple le moment où le pécheur doit ferrer le poisson.
De nos jours, cette science du kairos constitue l’une des
capacités revendiquées par les conseillers en communication. Il ne suffit pas
pour l’homme politique d’avoir quelque chose à dire ; il lui faut en plus savoir
parler au bon moment sur le ton qui convient. En cas de crise se taire ou
occuper les plateaux télé ? Et quel moment choisir pour annoncer qu’on
sera candidat aux Présidentielles ?
On nous a rassasié de réflexions savantes sur cette question
(car lorsqu’on a plus rien à dire, on a encore la faculté de chercher à savoir
quand il faudrait le dire !). Or voilà que les grecs, ces champions de la
sagesse, font de la phronèsis une
faculté exceptionnelle ? Aurait-ils aussi inventé le coaching en communication
par hasard ?
Bien au contraire : les grecs considéraient cet art de
saisir le kairos comme exceptionnel parce que justement il ne s’invente pas. A
la différence de la sophia qui doit s’apprendre, c’est par un don inné qu'on possède cette intuition du moment opportun d'agir. Ajoutons l’autre
aspect de cette capacité : elle n’a qu’un instant pour se
manifester, raison pour la quelle elle ne peut résulter d’une réflexion.
Un exemple célèbre apparaît dans Perceval, le roman de
Chrestien de Troyes : le chevalier Perceval parti à la recherche du Graal arrive dans un mystérieux château où celui-ci lui est présenté. Toutefois Perceval ne le reconnait pas et il se retient de demander
de quoi il s’agit car il se souvient des conseils de Gurnemanz qui lui a
recommandé de réfléchir avant de parler et de ne pas poser de questions
indiscrète (cf. ici). Le lendemain le château est vide de tout
occupant et depuis ce moment la chrétienté recherche le Graal.
Aujourd’hui où le devoir de silence n’existe plus, celui-ci
ne résulte plus que d’un calcul tacticien ; certains de nos élus pensent
que moins ils en disent et plus ils existent dans l’opinion.
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