Voici pour
vous, génies du mal, rassasiez-vous de ce beau spectacle !
Platon, République IV, 439 e-440 d
Il faut
d’abord lire le texte en Annexe pour mieux comprendre notre Citation-du-jour.
Il s’agit donc d’un spectacle effroyable, celui de cadavres suppliciés exposés
près des remparts à la vue de tous. Léontios, qui passe par là,
a une envie contre la quelle il lutte sans succès : celle d’aller jouir du
spectacle de ces corps martyrisés.
o-o-o
N’en
sommes-nous pas toujours là ? Cette jouissance au spectacle de la souffrance
infligée à autrui, fortement refoulée chez nous en temps normal, ne
ressurgit-elle pas dans des représentations qui l’évoquent ? Pour ma part,
je peux dire j’ai ressenti l’affreuse contradiction évoquée par Léontios à
l’occasion de la lecture des livres du marquis de Sade.
En effet, on
a dit que Sade n’était pas le criminel qu’on a dénoncé : il a fait
beaucoup moins de morts que Robespierre ! Les tortures qu’il décrit ne
sont que de l’encre sur du papier, et s’il a un peu fouetté des postérieurs de
prostituées, du moins ne les a-t-il pas violentées d’avantage. Mais il y a une
réalité qu’on ne peut dissimuler : on ne sort pas indemne de la lecture de
Sade (1). Il y a des passages qui horrifient, des moments où comme Léontios on
voudrait jeter le livre et où pourtant nos yeux y restent passionnément
attachés. Des passages dont le contenu se faufile en nous et vient stimuler le
bourreau qui se cache au fond de notre inconscient, celui que nous avons désiré être
il y a fort longtemps, longtemps avant que notre mémoire soit mature – vers 2-3
ans – et qui, parce qu’il a été refoulé, peut continuer à exister, assoupi
peut-être, mais pas pour toujours.
Imaginez-vous
en tortionnaire, entrain de vous pencher sur votre victime à surveiller son
visage déformé par la souffrance et veillant à ce qu’il ne se relâche
jamais : oui, je sais, tout cela nous fait horreur ; mais à ne pas
vouloir l’affronter, nous ne faisons que protéger ce monstre. Et du coup, comme
je le disais il y a peu, nous voilà obligés de lutter encore et encore contre
lui.
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(1) Simone de
Beauvoir l’a dit avec force dans son livre « Faut-il brûler Sade ? »
publié en 1951. C'était il y a longtemps, mais si nous l'avions lu avec attention nous n'aurions pas été sidérés par l’affaire DSK
Annexe – «
Pour l’avoir jadis entendue, j’ajoute foi à l’histoire que voici : que donc
Léontios, fils d’Aglaïôn, remontait du Pirée, le long du mur du Nord, à
l’extérieur ; il s’aperçut que des cadavres gisaient près de chez l’exécuteur
public : à la fois il désirait regarder, et, à la fois, au contraire, il
était indigné, et se détournait. Pendant un certain temps il aurait lutté
et se serait couvert le visage ; mais décidément dominé par le désir, il
aurait ouvert grand les yeux et, courant vers les cadavres : «Voici pour vous,
dit-il, génies du mal, rassasiez-vous de ce beau spectacle ! »
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