La modération est comme la sobriété: on voudrait bien manger
davantage, mais on craint de se faire mal.
La
Rochefoucauld – Réflexions ou Sentences et Maximes morales (1664)
Série larochefoucaldienne (2). Aujourd’hui : la
sobriété.
Nos vertus ne sont que des apparences : nous nous
mentons à nous mêmes quand nous y croyons. Ainsi de la sobriété, qui ne
résulterait en fait que d’un intérêt égoïste déguisé : on s’arrête de
manger parce qu’on craint de se faire
mal.
- On a ici un exemple de ce que Sartre appelait la mauvaise
foi : il nous est possible de connaître, la vérité, puisqu’elle est en
nous. Toutefois nous évitons soigneusement de rechercher la parfaite lucidité
et nous préférons nous en tenir à ce qu’on nous a dit : sobriété est vertu
– quoique, si on y réfléchit bien, les conseils qui soutiennent l’évitement de
l’alcool portent principalement sur la préservation de notre santé :
(« Jamais plus
d’un litre de vin par jour » : cette affiche date sans doute des
années 50, époque où le vin était encore la boisson nationale. Aujourd’hui on
dirait « Jamais plus d’un verre de vin par jour » – et encore. Mais
qu’importe)
En disant « Santé-Sobriété » on quitte le domaine
de la vertu, qui est du domaine de l’impératif catégorique, comme dirait Kant,
pour entrer dans celui de l’impératif hypothétique (1) : après tout, si je
me fiche d’être en bonne santé, alors je peux picoler.
- Ne perdons toutefois pas de vue que La Rochefoucauld parlant
de la modération en général, refuse de faire du juste milieu le lieu de la vertu, et le considère simplement comme
étant l’endroit où viennent s’équilibrer des vices contraires. Ainsi de la bonne
gestion des biens qui est le juste
milieu entre l’avarice et la prodigalité, de la prudence entre la hardiesse et la couardise, etc.
Au fond ce qu’il faut repérer, ce n’est pas tant que la
règle du juste milieu soit propice à la sagesse, mais plutôt que ce qu’on prend
pour de la vertu n’en soit pas - et même
que la vertu n’existe pas. Voilà bien les propos d’un moraliste de 17ème
siècle !
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(1) L’impératif catégorique a pour formule : « Il faut parce qu’il faut » ;
autrement dit son existence se passe de toute autre justification. Selon
l’impératif hypothétique, l’obéissance est subordonnée à l’acceptation d’un
objectif extérieur au principe en question : « Si tu veux… alors tu dois »
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