Sade – Les 120 journées de Sodome (texte
à lire en annexe)
Commentaire 3 –
Si on veut
prendre cette citation de Sade au sérieux, alors il faut dire que le bonheur
des uns implique le malheur des autres.
- Dans le
domaine de la psychologie : car à moins de supposer qu’il y a des
masochistes qui jouissent d’êtres les souffre-douleurs des sadiques, les
plaisirs de ces derniers supposent bien des tourments subis contre leur grés
par leurs victimes ; et le pervers narcissique qui cherche à se faire
valoir en humiliant et écrasant ses proches n’a pas besoin d’autre chose.
- Mais on
peut aussi penser aux sociétés inégalitaires comme celles d’aujourd’hui, qui
trouvent une forme d’élan dynamique dans le déséquilibre entre riches et
pauvres.
Dans la
société, on peut admettre en effet, comme le dit Rawls que tout le monde n’ait
pas le même accès aux richesses si c’est là une condition du bonheur de
tous : que mon voisin soit plus riche que moi est acceptable à condition
que j’en éprouve moi-même une satisfaction : par exemple s’il est médecin
et qu’il ne se consacre à son art qu’à la condition de gagner plus d’argent que
ses malades. Autrement dit, oui, il faut qu’il y ait des gens plus malheureux
que d’autres parce que ça va mieux comme ça pour tous.
Bien sûr ce
paradoxe signale que nous ne sommes pas ici dans une morale de la conviction
(qui ne répond qu’à des principes) mais dans une morale de la responsabilité
(qui tient compte des effets de l’action) (1) ; il faut donc dire aussi
que le problème est celui de la proportion. A combien de malheureux faut-il
consentir ? De combien de richesses les gens heureux doivent-ils
jouir ? Voilà une question qui nous taraude l’esprit aujourd’hui où le
libéralisme triomphant bâtit la prospérité sur l’inégalité contribuant à faire
des pays riches… peuplés de pauvres !
Si un tel
principe nous écœure et si nous voulons trouver la limite du tolérable en
définissant le pallier au-delà du quel l’injustice sociale est intolérable, il
faut un principe inviolable qui assure une universalité à une valeur :
celle du respect de la vie. Sans cela je pourrais tuer mon voisin si c’était là
la condition du bonheur de tous les autres habitants de l’immeuble – ce que certains dictateurs font sans aucun état
d’âme.
Autrement
dit, l’éthique de la conviction fait quand même retour.
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(1) Cf. le
texte de Max Weber ici.
Annexe
« Je
maintiens qu’il faut qu’il y ait des malheureux dans le monde, que la nature le
veut, qu’elle l’exige, et que c’est aller contre ses lois en prétendant
remettre l’équilibre, si elle a voulu du désordre. […] L’univers ne
subsisterait pas si la ressemblance était exacte dans tous les êtres ; c’est de
cette dissemblance que naît l’ordre qui conserve et qui conduit tout. »
Sade – Les 120 journées de Sodome
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