Paul Valéry - Cahiers I
Dis, pourquoi ?... Pourquoi les girafes ont un long cou, et les éléphant une trompe ? Pourquoi les autruches ont des ailes et qu’elles ne volent pas ?La finalité est un concept philosophique dont l’existence fait en effet référence à un instinct puisque le petit enfant est le premier à nous bombarder de « pourquoi ». Leibniz disait que seule la métaphysique répondait à la question du pourquoi, la science ne pouvant traiter que celle du comment : c’est qu’il voyait dans le pourquoi la recherche de la cause première.
Pourquoi y a-t-il des hommes, plutôt que pas d’hommes du tout ? A cette question, si vous voulez répondre vous êtes obligé de passer par un Dieu créateur, donc par une intention, donc par une mission confiée à l’homme, ou au moins par une norme à la quelle il devra se conformer. Il faut un certain courage pour refuser la question.
Qui donc peut dire : « Je suis sur terre parce que Dieu m’a voulu. Seulement, il ne m’a pas dit ce qu’il voulait que j’y fasse. C’est un mystère… » ? En réalité, il n’y a pas de mystère, parce que je n’ai ni but, ni utilité. Je suis né du hasard : la loterie génétique m’a fait tel que je suis. J’aurais pu mourir d’une appendicite dans ma jeunesse si la médecine n’avait pas été développée comme elle l’est aujourd’hui. Demain je peux mourir d’un arrêt cardiaque sauf si j’ai la chance d’être secouru par un médecin qui passe par là. Celui-là, c’était pas son jour, dira-t-on. Mais en réalité c’est qu’on ne veut pas concevoir les choses telles quelles - tout au moins telles qu'elles se montrent, comme dit Valéry.
Alors si tout est aléatoire, c’est-à-dire si aucune cause n’explique finalement le pourquoi des choses, tout est absurde ? Non, du moins pas obligatoirement. Si vous êtes favorable à la thèse de Sartre, vous direz ceci : puisque le ciel est vide, la place et disponible pour l’homme qui doit l’occuper. Non pas pour se prendre pour Dieu, mais pour dire ce que doit être sa vie : je n’ai pas été missionné pour ceci ou pour cela. Mais c’est à moi de me missionner moi-même : ce n’est pas à moi de dire : « Tu seras un homme, mon fils » (1), mais c’est à moi de dire : « Voilà quel homme je serai »
Le message du philosophe, aujourd’hui, c’est du lourd.
(1) Voir citation du 12 septembre 2006
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