L'indécis laisse geler sa soupe de l'assiette à sa bouche.
Miguel de Cervantès
Vous savez pour qui vous allez voter ? Non ? Vous êtes encore indécis… Vous m’intéressez.
L’Indécis est très recherché ces temps-ci. Comment va-t-il voter ? Quand va-t-il se décider ? Qu’est-ce qui va déclencher sa décision ? N’est-il pas catastrophique pour la démocratie de dépendre de gens qui sont susceptibles de changer d’avis au dernier moment ? (1)
Quelle est la différence entre l’Indécis et l’homme de décision - disons si vous voulez l’homme d’action ? Un indécis, c’est quelqu’un qui n’agit jamais, parce qu’il change d’avis tout le temps. Mais c’est à Bergson (2) que nous demanderons une analyse plus fine. L’indécis est celui qui prend les différentes étapes d’une situation les unes après les autres, qui n’en fait pas la synthèse, et qui se détermine ainsi au coup par coup, changeant d’avis à chaque fois : il se laisse donc conduire par cette succession. L’homme d’action par contre, embrasse d’un coup d’œil les événements et les domine ; de sa mémoire, qui est sélective, ne lui viennent que les souvenirs utiles à l’action. Ce que l’Indécis ne fera jamais, c’est passer à l’acte lorsque celui-ci suppose cette vue synthétique : il laisse geler sa soupe de l'assiette à sa bouche. Ou alors, il faut que la synthèse se fasse toute seule, comme par miracle, sans qu’il ait à y penser. Bref, l’Indécis doit basculer dans l’action, d’un seul coup, sinon il n’agira jamais. Comment est-ce possible ?
Lorsque s’opère un tel changement il y a ce que j’appellerai une « cristallisation » (3). Mais voilà : ce n’est que dans le présent que se rencontrent les circonstances qui lui sont propices ; et de même, les souvenirs sans les quelles on ne saurait rien faire, ne reviennent qu’en fonction des circonstances présentes. Par exemple, voyez le trac avant l’examen du candidat qui s’épouvante d’avoir tout oublié : l’instant suivant, les sujets distribués et la composition commencée, ils lui reviennent tous. C’est comme une solution qui cristallise, d’un seul coup. Vous voyez où je veux en venir : en entrant dans l’isoloir, l’Indécis prend sa décision ; comme ça, sans y réfléchir, le bon candidat lui apparaît. Il n’en démordra pas.
Autrement dit, la cérémonie du scrutin est extrêmement importante pour lui ; c’est elle qui concentre tous les éléments du choix qui, auparavant, s’éparpillaient en désordre devant lui.
N’y aurait-il pas quelque chose comme ça dans les résistances qui se font jour vis-à-vis du scrutin par machine électronique ? Je veux dire que cette nouvelle procédure, en défaisant le cérémonial du bulletin de vote dans l’urne, risque d’empêcher la cristallisation dans la conscience de l’Indécis.
Parmi ceux qui refusent le vote électronique, il n’y a peut-être pas que des paranoïaques soupçonneux.
(1) C’est ce défaut dont se moquaient les Républicains à propose du candidat John Kerry « John Kerry is a flip-flopper ». Lire
(2) Bergson - L’évolution créatrice, p. 202
(3) Le terme n’est pas chez Bergson ; comme on va le voir, il ne fait pas non plus allusion à Stendhal.
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