[Le travail], c'est la meilleure police, [parce] qu’elle tient chacun en bride et qu'elle s'entend vigoureusement à entraver le développement de la raison, des désirs, du goût de l'indépendance. Car le travail use la force nerveuse dans des proportions extraordinaires, et la soustrait à la réflexion, à la méditation, aux rêves, aux soucis, à l'amour et à la haine, il place toujours devant les yeux un but minime et accorde des satisfactions faciles et régulières.
Friedrich Nietzsche - Aurore.
Nietzsche le prophétisait déjà en 1881 : le travail et la sécurité vont de paire. Alors qu’aujourd’hui nos sondeurs de cœurs et de reins se demandent si le thème du travail (= plein emploi) l’emporterait sur celui de la sécurité dans la décision des électeurs, Nietzsche l’affirme tranquillement : la sécurité vient du travail.
On souscrirait aujourd’hui à sa déclaration pour des raisons économiques : celui qui travaille gagne honnêtement sa vie, il n’est pas un voleur ; mieux encore, ayant quelques biens à perdre, il sera un ami de la police. Et on se tromperait.
Car Nietzsche est formel : le travail dont on parle ici, c’est le labeur qui épuise toutes les forces créatrices de l’individu, c’est la besogne qui absorbe les forces humaines et empêche l’épanouissement de l’individu.
C’est une énigme qui a beaucoup interpellé les philosophes du XVIIIème siècle : pourquoi y a-t-il eu si peu de révoltes d’esclaves dans l’antiquité ? Beaucoup pensaient que la perte de la liberté conduisait à l’abandon des qualités qui font de l’homme un être capable de révolte, une sorte de corruption de l’essence humaine. Mais à ce compte, l’abolition de l’esclavage aurait dû conduire à des troubles sociaux importants. En réalité, le travail assure la sécurité parce qu’il fait de la société une fourmilière, où chaque individu est identique à tous ceux qui accomplissent la même fonction : seul l’usage normalisé des forces humaines peut s’exprimer.
Qu’est-ce qui menace la sécurité selon Nietzsche ? C’est l’individualisme ; alors que la société exige que chacun concourre au bien commun, l’individu se consacre à ses propres buts, sans se laisser détourner par ceux des autres. On objectera que notre société bat des records d’individualisme, que l’égoïsme n’a jamais eu tant de place dans la vie sociale et économique ; nous travaillons pour consommer, nous consommons pour jouir égoïstement de la vie. Où est le péril pour la société ? Nulle part, et ça, Nietzsche l’avait bien prévu : car pour cette jouissance là, il faut justement du labeur incessant, il faut épuiser nos forces vives, et sombrer ensuite dans l’entertainment. L’égoïsme dont il parle, est celui qui consiste à affirmer sa propre intelligence et développer ses propres capacités à penser et à critiquer et à produire…
Platon ironisait sur la cité des Pourceaux : nous y sommes.
Et en plus c’est l’année du cochon.
Saturday, April 14, 2007
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