Monday, April 30, 2007

Citation du 30 avril 2007

Ah! qui délivrera mon esprit des lourdes chaînes de la logique ? Ma plus sincère émotion, dès que je l'exprime, est faussée.
André Gide - Les Nouvelles Nourritures

L’émotion se communiquerait-elle sans se dire ? Si l’on suit au premier degré cette formule de Gide, on devait admettre que l’expression verbale enferme l’émotion dans le corset d’une forme logique qui la détruit.
Mais à ce compte, qui donc peut prétendre communiquer son émotion ?
Bien sur, l’émotion entraîne des signes tout à fait spontanés qui sont des médiateurs pour elle. L’expression du visage, l’attitude du corps, les gestes de la main, etc…, sont autant de signes qui, en étant liés à l’émotion, la suscitent chez autrui.
Mais il y a aussi la musique. Thomas Mann dans La montagne magique, évoque la musique entendue par une fenêtre ouverte dans la nuit ; l’émotion suscitée ainsi, surgit sans crier gare, transit l’âme sans qu’on le veuille ni qu’on puisse s’en protéger. Les ennemis de la musique - à commencer par Platon - lui reprochent ce pouvoir sur nos émotions. Haendel a introduit dans certains de ses opéras (1) des scènes ou la musique montre son pouvoir en faisant d’air en air surgir des émotions multiples : le spectateur est amené à rire à travers ses larmes, à basculer de l’allégresse dans la souffrance, à aimer et écumer de rage en même temps. La musique peut tout faire, elle est la maîtresse des émotions.
Mais que dire de la poésie ? Elle ne constitue pas une« lourde chaîne de la logique », et pourtant elle passe bien par le truchement du langage.
Considérez pas exemple la phrase que je viens d’écrire : elle ne prend un sens que si vous liez tous ses mots dans un jugement synthétique ; une fois ce sens connu, vous pouvez le formuler avec d’autres mots, le traduire dans une autre langue, etc. On parle de « logique » uniquement parce qu’on articule dans un certain ordre des significations générales – donc abstraites.
Maintenant, supposez que cette phrase soit poésie : alors sa signification ne passe plus uniquement par une telle articulation. Chaque mot, par sa sonorité, va acquérir une certaine signification, qui ne dépendra pas de conventions, mais qui sera liée à l’histoire de l’individu à sa culture, à sa personnalité. Il peut alors devenir signe de l’émotion.
Peut-on séparer ces deux manières de signifier ? Théoriquement oui ; pratiquement, non.
Un langage fait uniquement d’émotions musicales n’a aucune chance d’exister (de même que la musique affranchie de toute règle finit par lasser les auditeurs). De même nous recherchons l’expression de la personnalité vivante de qui nous parle ; manière d’écrire, intonations de la voix ; même si on lisait l’annuaire du téléphone à haute voix, notre personnalité y paraîtrait.



(1) Par exemple Salomon, acte III, scène 1 où le Grand roi séduit la reine de Saba en l’ensorcelant par la musique.

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