Le «déterminisme» est la seule manière de se représenter le monde. Et l'indéterminisme, la seule manière d'y exister.
Paul Valéry - Cahiers I, Philosophie
Encore de la « grosse philosophie », de celle qui nous met les neurones en surtension, au risque de les faire péter ? Et si ça n’est pas ça, alors c’est de la « grosse physique » qu’on se dit qu’il faut être un peu fou pour y comprendre quelque chose ?
Du calme, voyons ! Je laisserai le chat de Schrödinger à son peu enviable sort : on ne va pas se démoraliser avec une histoire de mort-vivant (pour les casse-cou : voyez ceci).
Raisonnons plutôt avec Paul Valéry : le «déterminisme» rend l’avenir totalement prévisible, comme si la totalité du temps était le fil d’une pelote enroulé sur lui-même. Il est donc - selon Valéry - « la seule manière de se représenter le monde », entendez la seule façon de le rendre intelligible (1). Ça veut dire que je peux connaître le monde, et faire des projets parce que je peux prendre appui sur ces prévisions (exemple : j’achète une maison parce que j’ai la certitude de pouvoir la payer compte tenu de mon plan de carrière prévisible).
Ça va là ? Bon, alors je continue. L'«indéterminisme », disons pour faire vite que c’est la part d’imprévisibilité du monde. Lorsque des phénomènes qui ne sont pas déterminés par des lois se produisent, c’est de façon totalement aléatoire. Exemple : les boules du Loto ont un comportement totalement imprévisible, ce qui fait qu’elles pourraient bien sortir 10 fois de suite les mêmes chiffres si ça leur chantait.
Or, dit Valéry, « l'indéterminisme, [c’est] la seule manière d'exister [dans ce monde] ». Autrement dit, nous devons considérer qu’il y a des lois, mais que le monde n’est pas entièrement quadrillé par elles, et qu’on va pouvoir y vivre, c’est à dire y agir, espérer y réaliser nos rêves, nos désirs. Autrement dit, il faut qu’il y ait des « trous » dans le déterminisme naturel pour que nous puissions avoir de l’espoir
Au fond, c’est là l’intérêt de cette citation : déterminisme et indéterminisme, il faut qu’il y ait un peu des deux. Je pourrais me dire : j’espère que les lois de la biologie sont rigoureusement à l’œuvre dans mon organisme, de sorte que si je suis malade la médecine puisse agit sur mon corps comme elle agit sur celui des autres. Ça, c’est le déterminisme. Mais comment croire que les lois du monde ont prévu mes fantasmes et mes désirs ? Et si je veux produire l’objet de mes désirs, comment y parvenir si le monde produit imperturbablement toujours les mêmes choses ? J’ai donc besoin d’indéterminisme.
D’ailleurs, ne vous en faites pas : avec la pollution, les rayonnements de toutes sortes, on va vous l’indéterminer la nature. Vite fait même.
(1) Allez, une définition du déterminisme, c’est cadeau : « Une intelligence qui, pour un instant donné, connaîtrait toutes les forces dont la nature est animée, et la situation respective des êtres qui la composent, si d'ailleurs elle était assez vaste pour soumettre ces données à l'analyse, embrasserait dans la même formule les mouvements des plus grands corps de l'univers et ceux du plus léger atome : rien ne serait incertain pour elle, l'avenir comme le passé serait présent à ses yeux. » Laplace - Théorie analytique des probabilités. (1812)
2 comments:
Délivrez-moi!
J'avais un prof d'automatisme qui disait: "quand vous modélisez, faites simple, mais pas plus simple".
Eh oui, contrairement au français, un langage mathématique a une axiomatique complète. Si on complique, le robort se perd (en conjectures et spatialement) et/ou ressasse, si on simplifie, il déconne et/ou se bloque.
Oui, vous allez me dire que les vieillards cacochimes et les politiciens aussi. Mais, ne confondons pas le musicien et son instrument.
Mais, quand même attaquer le déterminisme sur une page? Si l'on prend la citation pour une boutade, OK, sinon à qui s'adresse cette page?
Pour faire court, (ou cours) sur le déterminisme,
lire et relire et lire encore un monument qui reprend le déterminisme aux matheux et le rend à la philo (entre autres choses).
ISBN 2-08-064083-6
Un grand Bravo pour votre blog.
à qui s’adresse cette page ?
Au lecteur de bonne volonté qui, si j’ai réussi mon pari, devrait pouvoir entrer dans mon raisonnement.
attaquer le déterminisme sur une page?
J’ai limité la question du déterminisme en commentant la citation de Valéry : il s’agissait de comprendre pourquoi Valéry nous propose de nous partager entre déterminisme et indéterminisme.
Si l'on prend la citation pour une boutade :
il m’arrive de le faire, mais pas ici.
faites simple, mais pas plus simple :
votre prof d’automatisme pose excellemment le problème de la vulgarisation. Jusqu’où peut-on simplifier sans détruire ni dénaturer ? Vous pensez bien que c’est là LE problème du prof de philo de lycée. Je ne crois pas avoir simplifié à l’excès avec ce passage sur le déterminisme, si l’on m’accorde le croit de limiter le concept à ce qui est nécessaire pour traiter la citation de Valéry.
Merci de votre attention et n’hésitez pas à me transmettre vos critiques.
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