Les mots manquent aux émotions.
Victor Hugo – Le Dernier Jour d'un condamné
Les mots manquent aux émotions… Mais leur manquent-ils vraiment, ou bien les émotions ne sont-elles justement là que parce nous n’avons pas de mots pour exprimer ce que nous ressentons ?
Si c’était le cas, alors il faudrait admettre qu’entre le silence et l’émotion il y a un accord de convenance. Que devient l’émotion dès lors qu’on charge les mots de la dire ?
Pourquoi donc la musique est-elle le langage de l’émotion – plus encore que la poésie ? Pourquoi dans un tableau, l’émotion est-elle liée à la couleur plus qu’au dessin ?
Kant allait jusqu’à dire que le sublime ne peut être représenté et qu’il ne se manifeste à nous que comme force de l’esprit (1). De même, l’émotion est selon lui l’épanchement de force vitale (2) qui surgit après qu’un coup d’arrêt lui ait été donné. Elle est comme le fleuve qui submerge le barrage.
Revenons maintenant à la citation de Victor Hugo. Elle laisse croire que l’émotion serait plus forte, plus communicative si elle se donnait à vivre dans un discours ordonné, ou du moins dans un vocable adéquat. C’est une erreur.
Tous ceux qui ont perçu la ferveur du public écoutant Barak Obama faisant son discours lors de son investiture, à Chicago, ont bien senti que l’émotion de la foule tenait à ce moment là, non pas aux mots qu'il prononçait, mais à sa présence dans cette situation. Communion émotionnelle à la quelle pouvait même participer le spectateur devant son écran de télé, pour autant que la retransmission ait été en direct, autrement dit que son émotion soit synchrone avec celle du public.
Alors, émotion et langage sont-ils résolument adversaires ? Détruit-on l’émotion dès qu’on la dit ?
Comme l’observe Victor Hugo, on ne peut décrire une émotion. Mais on peut tout de même la susciter chez autrui, et cela le langage le peut, comme le prouve la poésie. Mais il est vrai que la musique est bien plus efficace pour cela.
C’est même ce qu’on lui reproche.
(1) Kant – Critique de la faculté de juger, § 29 – Remarque générale
(2) Kant – Idem, § 14
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