Monday, November 10, 2008

Citation du 11 novembre 2008


[La fraternité] ...à quel point sommes-nous donc encore sur le chemin de la civilisation qu’il faille plaider les circonstances atténuantes pour une chose si naturelle.

Les carnets de guerre de Louis Barthas, tonnelier, 1914-1918 (page 361)


Nous sommes en 1916, sur le front Champenois. Louis Barthas parle de la « fraternisation » avec l’ennemi, le Boche, dont les sentinelles apparaissaient à trois mètres à peine des sentinelles françaises. D’ailleurs la « fraternisation » est un bien grand mot : on échangeait du tabac, on entendait l’autre chanter pour passer le temps, et on le prévenait quand un officier français venait pour faire sauter la cervelle de l’imprudent allemand qui ne se cachait pas à temps et pour traîner en conseil de guerre la sentinelle qui avait failli à sa mission.

L’humanité ne se marchande pas, et la guerre ne fait rien à l’affaire. Louis Barthas est un tonnelier de l’Aude, qui par chance est revenu indemne de la guerre, indemne mais avec des convictions pacifiste – et socialistes – renforcées. Voilà qui aide à relativiser cette haine du Boche dont un croit facilement qu’elle a dévoré la France entière à cette époque.

Je voudrais aussi souligner l’exceptionnelle élévation d’esprit de cette citation, la force et l’aisance avec la quelle elle est écrite.

Les Carnets de Guerre de Louis Barthas ont été publiés bien après sa mort, ils n’ont pas été « rewrités ». Il était un fils du peuple, sa culture était celle d’un enfant du peuple (1). Il illustre assez bien ce qu’étaient alors les élites ouvrières, comment elles se faisaient toutes seules, et quel poids elles apportaient aux revendications sociales et politiques.

- Maintenant, ce qu’on peut se demander c’est : où sont-elles passées aujourd’hui, les élites ouvrières ? Où trouver la trace de cette pensée éclairée par l’expérience vécue – la conscience de classe si on veut – cette pensée pleinement humaine parce que forgée au contact de la réalité, et non empruntée à des maîtres à penser ?

Mon hypothèse c’est que l’ascenseur social – en particulier l’école – a vidé la classe ouvrière de ses élites qui n’ont pu de ce fait s’épanouir dans la vie de l’atelier, de l’usine, etc…

C’est une hypothèse que je juge très désagréable. Mais je n’en ai pas d’autres.


(1) C'est-à-dire le certificat d’études. Culture enrichie quand même de substantielles lectures si on en croit ses biographes.

No comments: