Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement,
Et les mots pour le dire arrivent aisément.
Boileau - Art Poétique (Chant I - vers.152-153)
Rien n’est pire que de devoir décrire l’expérience que nous faisons du langage. Essayez un peu et vous verrez. Par exemple, Boileau a-t-il raison s’il dit que l’effort pour formuler notre pensée est l’indice de son obscurité, suggérant ainsi que la pensée précède son expression, que celle-ci n’a d’autre fonction que d’être comme un vêtement qu’on lui enfile pour la faire circuler et la présenter aux autres ? Car il faut d’abord concevoir (Ce que l'on conçoit bien…) ; et ensuite, dire (…Et les mots pour le dire arrivent aisément.).
C’est vrai que nous avons souvent la satisfaction de reconnaître notre pensée dans notre phrase ; et il peut se faire que cette pensée nous soit venue sans effort, que nous n’ayons même pas eu à réfléchir, que parfois même elle ait devancé notre intention, comme si elle avait été là sans même que nous nous en doutions et que sa formulation n’ait pas requis notre volonté.
Mais nous avons aussi d’autres expériences. Combien de fois avons-nous été surpris de constater que notre pensée, pourtant fort claire pour nous, l’était fort peu pour autrui. Où donc est la clarté dont parle Boileau ? Dans son expression ? Mais alors elle aurait dû être claire pour tous. Dans le sentiment qu’on en avait ? Mais alors celui-ci n’était pas le reflet fidèle de la réalité. D’ailleurs, que savons-nous de notre pensée en dehors du langage ?
Mais plus encore, c’est une autre expérience qui nous montre que Boileau nous abuse : le cheminement de l’obscur vers le clair, qui est en même temps ce que j’appellerai «l’acte de penser », est simultanément la découverte de celle-ci et son invention.
Alors que la clarté de la pensée soit liée à la clarté de son expression : évidemment. Mais que l’absence d’effort voire même de recherche soit l’indice de cette clarté, là je ne suis plus d’accord. Et si je cherche ma pensée, c’est dans la langage que s’opère cette recherche. Voyez Flaubert. La promenade à la forêt de Fontainebleau, dans l’Education sentimentale : 4 pages de texte ; 70 pages de manuscrit raturé. Comme disait Sartre : Flaubert écrit en attendant que ça vienne.
Moi, je suis comme Flaubert : je ne parle pas seulement pour dire ; je parle pour savoir ce que j’ai à dire.
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