Aie dans les veines le doux lait de ta mère, et le
généreux esprit de ton père ; sois bon, sois fort, sois honnête, sois juste !
Et reçois, dans le baiser de ta grand-mère, la bénédiction de ton grand-père.
Victor Hugo – Correspondance
Le lait est du sang digéré, non corrompu, d’un blanc
resplendissant et admirable.
Champier – De re
ciboria (1560) – Cité par Madeleine Ferrières– Histoire des peurs alimentaires
p. 104-105.
Selon Victor Hugo, le lait coule dans les veines de
l’enfant montrant à quel point le lait a eu dans l’imaginaire collectif partie
liée avec le sang. D’ailleurs comme lui, il est porteur d’hérédité, puisque les
frères de lait ont quelque chose en
commun, tout comme les frères de sang.
S’agit-il d’un fantasme ? Peut-être, mais on voit
bien que cette intuition a été « rationalisée » par des explications
« scientifiques » dès le 16ème
siècle – et peut-être avant.
La question qu’on se posait alors était : d’où vient
le lait ? Question rationnelle, puisque liée à une conception déterministe
de l’organisme humain : rien n’y arrive sans cause.
L’idée était donc que le lait serait une transformation
du sang (on appellerait ça aujourd’hui : une métabolisation). Seulement –
et toujours selon cette médecine ancestrale – avec le sang féminin on fait deux
choses différentes : des menstrues, qui sont du sang corrompu ; et du
lait qui est du sang digéré non corrompu ;
il faut être attentif à cette origine pour comprendre que la femme ait été
conçue de façon très ambivalente : comme une source de pureté mais aussi
potentiellement comme une souillure.
J’ai opposé plus haut l’explication scientifique au
fantasme. On voit bien que j’avais tort : le fantasme n’est jamais loin et
si l’explication scientifique est une rationalisation, elle rationalise aussi
le fantasme.
Fantasme… Dans le domaine de la corrélation lait/sang, il
y en a un qu’on trouve chez Sade, dans les 120 journées de Sodome (1) ; méfiez-vous : si vous avez
l’inconscient fragile ce qui suit va peut-être scotcher vos synapses.
… Donc voilà : à la fin des 120 journées, on sacrifie une à une les victimes dont on s’était
amusé jusqu’alors en les mutilant avant de les assassiner. C’est ainsi qu’à
l’une d’entre elle on tranche le mamelon d’un coup de dent afin de boire son
sang. Après que le sang soit devenu du lait, le lait redevient du sang.
La boucle est bouclée.
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(1) On ne l’a peut-être pas souligné, mais le manuscrit
des 120 journées a été, bien avant
celui de Kerouac écrit sur un rouleau de papier en continu. Il est vrai que
Sade était alors embastillé et qu’il avait trouvé cette ruse pour dissimuler
son manuscrit à ses geôliers en l’enroulant autour de sa poitrine.
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