Peggy Bouchet (1)
L’important n’est pas de vaincre, mais de participer
Pierre de Coubertin
(cité le 11 février 2006)
Aussi y a-t-il des pertes triomphantes à l'envi des
victoires.
Montaigne – Essais I,
31 – Des cannibales (cf. le texte en annexe)
David – Léonidas aux
Thermopyles
Où y a-t-il la plus de gloire ? Dans la
victoire ? Dans la participation à un combat ou à un concours ? Dans
la défaite ?
Les jeux olympiques sont – sans même qu’on pense à Pierre
de Coubertin – une occasion superbe de réflexion sur ce sujet.
Un récent reportage télévisé (= 4 août) montre une
lanceuse de disque française qui vient de terminer 6ème du concours.
Elle est saisie par la caméra assise sur le bord de la piste : elle pleure
silencieusement. Le commentateur nous explique que ces larmes sont sans doute
de joie parce qu’elle a amélioré son propre record de France. Sa défaite était
aussi une victoire, et on peut croire que Léonidas aux Thermopyles a lui aussi remporté
une victoire : celle de sauver une partie de l’armée grecque en bloquant
temporairement la progression des soldats perses. Et cette victoire n’est rien par
rapport à la gloire de mourir en héros : « passant qui va à Sparte, va dire que nous sommes morts pour obéir à ses
lois » (Phrase que le soldat (en haut à gauche du tableau) grave de
son glaive dans le rocher).
Mais Montaigne va plus loin : à ce compte, une
victoire aléatoire, due peut-être au soleil qui éblouit les yeux de l’ennemi (voir
texte en Annexe – nous sommes plus de deux siècles avant Austerlitz) serait de
moindre prix qu’une défaite héroïque. La lutte – ou la compétition – est
toujours aussi une lutte avec soi-même.
Belle pensée. Mais à qui allez-vous faire croire ça
aujourd’hui ? Déjà à l’époque de Montaigne c’était sans doute un paradoxe
qui nécessitait une longue explication. Quand le vainqueur de Tour de France
vient à être disqualifié suite à un contrôle anti-dopage, le numéro 2 du
classement a-t-il plus de gloire à être déclaré vainqueur ? Eh bien oui,
bien sûr : Seule la victoire est
belle.
Voyez la réaction des parents d’élèves quand on a voulu
modifier la notation des enfants en instituant une évaluation qui privilégiait
l’évolution de l’élève par rapport au niveau antérieur au détriment d'un classement par
rapport aux autres enfants :
- Quoi ! Qu’est-ce que c’est que ce refus de la
compétition ? Nous voulons que nos enfants soient classés du meilleur au
moins bon, qu’ils sachent où ils se situent. Dans la société, ils seront sans
cesse soumis à la concurrence, autant qu’ils s’y habituent immédiatement.
L’Ecole, c’est l’école de la vie !
° ° ° °
Quizz de
l’Eté : De nos jours, que ferait
Léonidas aux Thermopyles ?
1 – Il embaucherait (avec l’argent du FMI) des mercenaires
pour stopper l’armée perse.
2 – Il minerait le passage des Thermopyles et il se
sauverait vite fait.
3 – Il planterait-là la guerre et il irait finir l’été
aux Seychelles
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(1) En 2000, à l'âge de 26 ans, à son deuxième essai, Peggy
Bouchet réussit la traversée de l'Atlantique à la rame en solitaire en moins de
49 jours.
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Annexe :
voici l’extrait du texte de Montaigne, légèrement
modifié :
Assez d'avantages gagnons nous sur nos ennemis, qui sont
avantages empruntés, non pas nôtres. C'est la qualité d'un porte-faix, non de
la vertu, d'avoir les bras et les jambes plus raides [solides] : c'est une qualité morte et corporelle, que la
disposition [agilité] :
c'est un coup de la fortune, de faire broncher notre ennemi, et de lui éblouir
les yeux par la lumière du Soleil ; c'est un tour d'art et de science, et
qui peut tomber en une personne lâche et de néant, d'être suffisant à
l'escrime. L'estimation et le prix d'un homme consiste au cœur et en la
volonté : c'est là ou git son vrai honneur : la vaillance c'est la
fermeté, non pas des jambes et des bras, mais du courage [cœur] et de l'âme : elle ne consiste pas en la valeur de notre
cheval, ni de nos armes, mais en la nôtre. Celui qui tombe obstiné en son
courage, s’il est tombé, combat à genoux (Sénèque La Providence II), qui pour [malgré] quelque danger de la mort voisine, ne relâche aucun point
de son assurance ; qui regarde encore en rendant l'âme, son ennemi d'une vue
ferme et dédaigneuse, il est battu, non pas de nous, mais de la fortune :
il est tué, non pas vaincu.
Les plus vaillants sont parfois les plus infortunés.
Aussi y a-t-il des pertes triomphantes à l'envi des
victoires. Ni ces quatre victoires sœurs, les plus belles que le Soleil aye jamais
vues de ses yeux, de Salamine, de Platées, de Mycale, de Sicile, n'osèrent
onques opposer toute leur gloire ensemble, à la gloire de la déconfiture du Roy
Leonidas et des siens au pas de Thermopyles. Montaigne – Essais I, 31 – Des
cannibales.
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