Chacun tourne en réalités, / Autant qu'il peut, ses
propres songes : / L'homme est de glace aux vérités ; / Il est de feu pour les
mensonges.
La Fontaine – Le statuaire et la statue de Jupiter
La morale de la fable vaut parfois mieux que la fable
elle-même. Qu’on me pardonne si je dis que c’est le cas pour celle-ci. En tout
cas, je ne retiendrai de l’apologue du statuaire, qui, comme Pygmalion,
succomba aux émois suscités par la statue qu’il venait de créer, que l’idée
exposée ici : les mensonges ont plus de force que les vérités, parce que
si la vérité est taillée aux dimensions de la réalité, les mensonges, eux,
sont moulés sur nos fantasmes.
On rappellera que les démocraties fonctionnent avec de
tels principes : les élus sont portés au pouvoir sur un programme qui doit
être l’expression de nos désirs – et tant pis si pour cela il a fallu mentir au
peuple, parce que c’est cela qu’il voulait entendre.
Mais, s’en tenir à ce constat est un peu étriqué. En
réalité, c’est une expression de la vie politique dans son ensemble. Lorsque le
peuple accourt applaudir le tyran, lorsqu’il
ne lui résiste pas – alors qu’il le pourrait, lorsqu’il va pleurer sur
sa tombe ou se réjouir à ses fêtes – qui pourtant lui ôtent le pain de la
bouche, c’est exactement le même mécanisme. Le mensonge est rêve, et le rêve
fait en nous brûler la passion. La Boétie disait que le peuple se soumettait au
tyran non par lâcheté mais par plaisir. C’est vrai et c’est faux en même temps.
Car le masochisme est une dimension de la psychologie individuelle et non
collective. Par contre, il peut se faire que tous les hommes aient les mêmes
désirs, et que ces désirs soient comblés par les promesses incarnés par le
tyran.
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