Le maître ne nous apprend rien d'autre que ceci, qu'il
faut que chacun soit son propre maître, ce qui fait tous les hommes égaux.
Alain – Propos du 24 juin 1933
Ce Propos d’Alain (à lire ici) parait confondant de naïveté :
comment pouvait-on en 1933 parler du triomphe
de l’amour universel ? Mais ce n’est pas cela qui nous retiendra
aujourd’hui : c’est ce principe que la maitrise suffit à établir
l’égalité.
Que n’a-t-on dit sur l’exigence de l’égalité
Républicaine ! Qu’elle impliquait que tous soient
identiques : danger ! Qu’on voulait en l’établissant gommer les inégalités
naturelles : utopie !
Pour Alain, seuls les maitres sont égaux entre eux ;
il pose un principe qui à première vue n’est autre que celui de
l’Anarchie : Ni Dieu ni Maitre – ou bien alors que chacun soit son propre
maitre. Avec pour conséquence celle-ci, que l’Anarchie là encore nous
enseigne : l’individu est l’alpha et l’oméga de la société, et donc
celle-ci ne peut jamais être plus qu’une association d’individus libres et
égaux en droit et en pouvoir.
Dans son Propos du 24 juin 1933, Alain n’ajoute rien de
plus à ce principe. Libre à nous de rappeler que chez lui le moraliste
cartésien n’est jamais bien loin.
--> Etre son
propre maitre, ce n’est pas seulement être indépendant de la volonté
d’autrui ; c’est aussi être maitre
de soi, et donc avoir dompté la bête qui est en nous. Non pas la bête « bestiale »
mais la bête qui bondit, qui sursaute, qui tremble à l’occasion : Tu trembles, carcasse ! C’est de notre
propre corps qu’il s’agit.
On dira qu’on ne peut pas dompter notre corps et que,
quand il souffre, on ne peut l’oublier -
Montaigne en témoigne ; et quand il est en colère, on est comme Achille en
fureur sous sa tente. En réalité, être son propre maitre suppose qu’on ait établi
une cloison suffisamment étanche entre ce que fait notre esprit et ce qui se
passe dans notre corps : que nos passions ne soient plus les passions
« de l’âme », mais simplement des sursauts du corps. C’est le message
du stoïcisme.
J’avoue ne pas être absolument fan de cette conception,
qui, en établissant une muraille de Chine entre nos passions et nous, prétend
désincarner notre esprit, faire que nos élans affectifs soient filtrés, sinon
écartés de notre chemin. C’est trop souvent la leçon que nous donnons aux
autres mais que nous ne suivons pas nous-mêmes.
Et puis, sans l’élan de la passion – de l’amour ou de la
haine – ferions-nous seulement quelque chose ?
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