D’Héraclite, on rapporte un mot qu’il aurait dit à des étrangers désireux de parvenir jusqu’à lui. S’approchant, ils le virent qui se chauffait à un four de boulanger. Ils s’arrêtèrent, interdits, et cela d’autant plus que, les voyant hésiter, Héraclite leur rend courage et les invite à entrer par ces mots : « Ici aussi les dieux sont présents» (A 5, 645 a 17).
Aristote – Les Parties
des animaux (Cité par
Heidegger à la fin de sa Lettre sur l’humanisme)
Aujourd’hui, citation à tiroir : je cite Heidegger, qui
cite Aristote, qui lui-même cite Héraclite. Une telle cascade est sans doute
l’indice que quelque chose d’important se dit ici.
Ici aussi (= devant le four du boulanger) il y a des Dieux… En lisant cela, nous
prenons conscience que la cuisine (je veux parler de l’endroit où s’élabore la
nourriture) était traditionnellement un endroit réservé à la domesticité et que
cuisiner était donc une fonction servile.
Comparez maintenant avec notre façon de considérer la
cuisine, à travers les émissions de télé, les multiples commerces qui vous
proposent des ustensiles fonctionnels, design et … très chers.
Bref, cuisiner est devenu un loisir, et la mode des
cuisines ouvertes sur le living-room (à la façon des cuisines américaines) est
là pour nous le rappeler : on peut cuisiner avec les invités ou pour le
moins sous leurs regards, et il n’est plus besoin de leur dire comme
Héraclite : Ici aussi les dieux sont
présents, car ils le savent.
Il y a quand même quelque chose qui gêne dans ces propos.
C’est que, dans le même temps, la société de consommation s’est emparée de la
nourriture et grâce à l’industrie alimentaire, la préparation des repas est
devenue complètement superflue. Ce qui est l’application du principe de la consommation
selon lequel la production et la consommation échoient à des individus
différents.
Ceci n’est pourtant pas forcément un paradoxe : si cuisiner
est un loisir, ça veut dire qu’on ne cuisine que dans des circonstances
particulières, principalement quand des invités sont là. Le reste du temps,
puisqu’il faut bien se nourrir, on consommera ce que les industriels auront prévu
pour nous.
Ensuite, tout loisir suppose lui-même une consommation.
Et comme nous le signalions plus haut, on ne peut quand même pas cuisiner dans
notre belle cuisine Ikéa sans utiliser de beaux accessoires, les plats, les
couteaux en céramique et les gadgets multiples – tous siglés Ikéa.
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