Une main lave l'autre.
Sénèque
Après avoir livré Jésus aux romains, Judas
s’est lavé les mains comme pour dire que c’était pour lui une affaire
classée : ce qui allait arriver à Jésus n’était pas son affaire.
On peut y lire une inversion des
responsabilités : Judas coupable seulement d’avoir dénoncé un factieux à
l’autorité d’occupation qui lui a infligé la crucifixion – supplice
romain ? Ou bien Judas est-il le seul responsable de la Crucifixion dont
les romains n’ont été que l’aveugle instrument (1).
Comme on le sait, la tradition n’a retenu
que cette seconde interprétation : en dénonçant Jésus, Judas est bien le
responsable de son supplice. De même que nos deux mains font partie de
nous-mêmes et que la droite ne peut ignorer ce que fait la gauche, nous sommes
responsables non seulement de ce que nous faisons, mais encore des conséquences
de ce que nous avons fait.
C’est cette conception de la responsabilité
qui vient à manquer lorsqu’existe ce que Hannah Arendt appelle, à propos
d’Adolf Eichmann, « la banalité du
mal ».
Eichmann, le Judas du 20ème
siècle : il était la main qui mettait les juifs dans les trains ; il
affirmait qu’il n’était pas la main qui tournait la manette du gaz pour les
asphyxier. Et cette main-là n’était pas non plus celle qui avait signé le
décret ordonnant la « Solution finale » – ni le cerveau capable d’exclure les juifs de
l’humanité.
Bref : si la main gauche peut laver la
main droite, c’est que nous ne formons pas un tout, et donc que nous ne sommes
que des instruments dénués de pensée ; la banalité du mal repose sur cet
éparpillement des responsabilités, comme l’a prouvé l’expérience de Milgram.
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(1) « Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font »
clame Jésus crucifié (Luc 23,33-34)
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