Tu sais ce qui est beau, ici ? Regarde : on marche, on laisse toutes ces traces sur le sable, et elles restent là, précises, bien en ligne. Mais demain tu te lèveras, tu regarderas cette grande plage et il n'y aura plus rien, plus une trace, plus aucun signe, rien. La mer efface, la nuit. La marée recouvre. Comme si personne n'était jamais passé. Comme si nous n'avions jamais existé. S'il y a, dans le monde, un endroit où tu peux penser que tu n'es rien, cet endroit, c'est ici. Ce n'est plus la terre, et ce n'est pas encore la mer. Ce n'est pas une vie fausse, et ce n'est pas une vie vraie. C'est du temps. Du temps qui passe. Rien d'autre
Alessandro Baricco –
Océan Mer
Traces II
Hier, nous effacions les traces de notre vie en courant
plus vite qu’elles : même plus de sillage…
Mais on sait que vivre c’est mordre sur le réel, c’est
donc tracer quelque chose, et même si cette trace ne nous importe pas, il n’en
reste pas moins qu’elle existe.
Mieux vaudrait alors faire comme le sable de la plage qui
porte les traces de nos pas, mais qui, la marée passée, retrouvera
intégralement sa virginité. Et cela non pas dans la mélancolie des amants désunis de la chanson (1),
mais bien dans la joie de se lever chaque jour comme si c’était le premier
matin du monde.
- Vivre sur l’estran, est-ce donc la solution d’une vie
libre de toutes entraves ?
Notre auteur est moins catégorique : « Ce n'est pas une vie fausse, et ce n'est pas
une vie vraie. C'est du temps. Du temps qui passe. Rien d'autre »
Voilà donc le fond de sa pensée : il s’agit non pas
de la vie, mais du temps. La mer sur le sable est un peu comme le mouvement des
étoiles dans le ciel chez Platon : c’est une image mobile de l’éternité.
Oui, mais qu’est-ce que ça nous apprend sur la vie ?
Je ne sais pas ce que l’auteur a précisément dans l’esprit
à ce sujet, mais quant à moi, je dirai qu’une vie qui voit ses traces effacées
au fur et à mesure de son déroulement, c’est une vie qui repart à zéro chaque
matin, comme l’amnésique qui reprendrait en se levant la tâche qu’il avait débuté
la veille en se levant – comme si rien ne s’était fait durant le jour.
Je doute que ce soit vraiment ce que l’on ait souhaité,
sauf bien sûr quand on a la volonté de refaire sa vie. Mais ce n’est pas parce
qu’on le veut qu’on le peut : on repart toujours de là où l’on est arrivé.
Après les Feuilles mortes, voilà le Temps du tango :
Faudrait pouvoir fair' marche arrière /
Comme on l'fait
pour danser l'tango !
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(1) Les feuilles mortes.
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