Qui meurt paie ses dettes
William Shakespeare
Un bonne citation, celle qui donne à penser,
c’est une phrase qui a un double sens : l’un évident ; l’autre qui
nous interroge. Car piégé par cette fausse évidence, on rebondit de sens en
sens, sans jamais pouvoir faire une véritable synthèse.
Ainsi, bien qu’on ne puisse demander à un mort
de payer ses dettes, il n’en reste pas moins qu’on va poursuivre ses héritiers
afin d’en obtenir le remboursement. Mais par ailleurs, on dit bien que la mort
du coupable éteint l’action de la justice : on ne condamne pas un mort – à
moins d’être comme ces tyrans barbares qui assassinent les parents et les
enfants de leur adversaire même après sa mort. Reste que la mort solde bien
quelque chose : on justifie la peine de mort par le fait qu’elle seule
permet au coupable de « payer sa dette à la société ».
Et ce n’est pas fini : on peut aussi
prendre la citation du côté non de la mort, mais de la dette. Comprendre que la
dette est « impayable », qu’elle produit une insolvabilité
irrémédiable, durant toute notre vie, ce dont la mort seule nous délivrer.
L’exemple le plus simple est celui de la dette
dont on ne peut payer que les intérêts. Ainsi des paysans d’autrefois
pratiquement réduits en esclavage parce que leur travail parvenait à peine à
payer les dividendes de leurs emprunts. Les pauvres paysan acculés à la ruine,
se pendaient à la saint Michel, date à la quelle l’usurier venait encaisser son
dû. Aujourd’hui, chacun pense au cas de la Grèce.
Mais en réalité, tout cela vient d’encore
plus loin, des premières religions qui ont eu à régler la question des
rapports de l’Homme à Dieu. Le péché est une dette contractée envers lui, dont
le pécheur s’efforcera d’obtenir la remise – le pardon – grâce à des actes de
contrition, voire aux sommes d’argent qu’il consacrera à l’achat d’indulgences
(voir ici). De toute façon, la dette religieuse est
impossible à effacer, puisqu’il faudrait pouvoir « dédommager »
Dieu ; mais Dieu nous est incommensurable, au point que seul son pardon,
acte gratuit par excellence, peut nous libérer du mal qu’on lui a fait.
Mais ce n’est pas fini : la mort
n’efface rien – l’Enfer et son éternité de souffrances destinées à faire expédier
indéfiniment la faute, sont là pour nous le rappeler.
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