Blanches sérénités de l’océan des formes, / Quelquefois je
vous veux, sous les muscles énormes, / Géantes & crevant le moule de mes
mains.
Albert
Mérat - Le sonnet des seins (L’Idole – 1869)
Vous
trouverez en annexe le sonnet en entier, mais l’ensemble de ces poèmes dédiés à
l’Idole est à lire ici.
Oui, cher lecteur : à moins que vous n’ayez le cerveau
embrumé, vous aurez compris que ces « blanches
sérénités », ces « formes
géantes » que moulent les mains du poète, ce sont … les seins d’une
belle Idole.
Ces vers emberlificotés et archaïsants du poète parnassien ne
sont-ils que des formes poétiques banales et convenues ? Certes non, et
leur lecture ne nous trompera pas longtemps : il s’agit bel et bien de
fantasmes et rien ne pourrait d’avantage nous le prouver que ce passage cité
ici, où les seins crèvent le moule des mains du sculpteur qui prétendent en pétrir
la pâte pour en faire une copie. Rien ne peut les emprisonner, comme le montre
ce tableau de Magritte :
René
Magritte - Homage To Mack Sennett, 1934
Oui, cette idée que les seins se voient là même où ils ne
devraient que se deviner est très courante. Mais voilà que notre poète est plus
fort que les fantasmeurs courants : c’est qu’il prétend faire l’aveugle et
découvrir par le toucher ce que les yeux ne pourraient voir. Mais ce n’est pas
tout ! Voici que l’aveugle, en posant ses mains sur les seins de sa belle
amie, les révéle totalement – non pas banalement par contact, mais en déclenchant
leur puissance éruptive.
Va-t-on dire que l’éruption en question se produit quelque
part dans le corps de l’aveugle, et qu’on transfère l’effet à la cause ? Pourquoi
pas ? C’est une métonymie, procédé rhétorique courant, qu’on ne doit pas
s’étonner de trouver dans un poème parnassien.
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LE SONNET DES SEINS
L’éclosion superbe & jeune de ses seins / Pour enchaîner
mes yeux fleurit sur sa poitrine. / Tels deux astres jumeaux dans la clarté
marine / Palpitent dévolus aux suprêmes desseins.
Vous contenez l’esprit loin des rêves malsains, / Nobles
rondeurs, effroi de la pudeur chagrine ! / Et c’est d’un trait pieux que mon
doigt vous burine, / Lumineuses parmi la pourpre des coussins.
Blanches sérénités de l’océan des formes, / Quelquefois je
vous veux, sous les muscles énormes, / Géantes & crevant le moule de mes
mains.
Plus frêles, mesurant l’étreinte de ma lèvre, / Vers la
succession des muets lendemains, / Conduisez lentement mon extase sans fièvre.
Albert Mérat -
L’Idole 1869
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