On peut dire
qu'un gouvernement est parvenu à son dernier degré de corruption quand il n'a
plus d'autre nerf que l'argent.
Jean-Jacques Rousseau – Discours sur
l'économie politique (1755)
Evident,
n’est-ce pas ? Sauf qu’on voudrait mieux comprendre à quoi pense Rousseau
lorsqu’il évoque un gouvernement qui « n'a
plus d'autre nerf que l'argent ». Veut-il dire que les politiciens ne
recherchent que le gain personnel, que leur seule ambition est de gagner le
plus d’argent possible ? Impossible ! Dans nos démocraties où la
moindre corruption est sévèrement punie, celui qui veut faire fortune a intérêt
à se faire banquier plutôt que premier ministre (1).
Reste alors
l’autre hypothèse : pour gouverner il faut avoir des leviers d’actions
pour manœuvrer les hommes et obtenir qu’ils fassent ce qu’on attend d’eux :
l’argent serait l’un d’eux – et non le moindre. Suivons Montesquieu : les
tyrans gouvernent en inspirant la terreur, les aristocraties mettent en jeu
l’honneur ; les démocraties la vertu… Mais il peut arriver qu’on ne puisse
agir politiquement qu’en promettant aux citoyens de s’enrichir. En politique, telle
est la pire issue selon Rousseau. Alors que dans des régimes non corrompus, les
hommes agissent pour l’intérêt commun, poussés par le désir de faire le bien en faveur de
leurs concitoyens, ou par la recherche de l’honneur mérité par des faits
glorieux, le gouvernement corrompu ne peut rien obtenir du peuple s’il ne
promet pas un gain en échange.
- Et
alors ? Le libéralisme a pris en compte cela aussi. Voici les thèses de ses théoriciens :
1° S’il faut payer, ne payer que
ceux dont le travail est vraiment profitable à la communauté : il faut
donc soumettre les fonctions socialement utiles à appel d’offre. (2)
2° Du coup, la corruption des
fonctionnaires n’existe que lorsqu’on est obligé de les payer deux fois :
une fois sous forme de salaire ; une autre fois sous forme de pot-de-vin.
On remarquera
que c’est au nom de l’équité du marché qu’on condamnera de tels agissements et
non en fonction de principes moraux. Du coup le terme de corruption devient trompeur, et il vaudrait mieux employer
l’adjectif « inéquitable »
(unfairness)
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(1) On se
rappelle sans doute que l’erreur de Jérôme Cahusac avait été de vouloir cumuler
les deux.
(2) On se
rappelle que c’était là le « Principe
de différence » dégagé par John Rawls, et qui s’énonce ainsi :
« les inégalités économiques et sociales doivent être telles qu'elles
soient : (a) au plus grand bénéfice des plus désavantagés et (b) attachées à
des fonctions et des positions ouvertes à tous, conformément au principe de la
juste égalité des chances. »
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