Extérieurement
nous allons paisiblement côte à côte, mais pendant ce temps-là l'air qui nous
sépare est sillonné d'éclairs comme si quelqu'un le fendait continuellement à
coup de sabre.
Franz Kafka
Comment mieux
dire ? Comment décrire cette horrible sensation de la rupture violente
entre deux personnes ? Rupture qui, comme entre deux aimants, exige pour
se faire, d’autant plus de force qu’ils sont plus proches. Rupture encore plus
cruelle lorsqu’elle ne s’accomplit pas totalement et qu’on doit souffrir en
permanence son déchirement. Rupture qui n’est que blessure et jamais
résolution.
C’est là
l’idée qui se manifeste dans cette phrase de Kafka : jamais ces vieux
amants (appelons-les comme cela) ne se sépareront vraiment. Ils sont trop vieux
et ils ont vécu trop longtemps ensemble. Du coup, ils vont se déchirer, car ils
ne peuvent faire autrement, et cette déchirure va devenir comme ces maladies
chroniques qui provoquent des crises très douloureuses, mais qui n’évoluent
jamais – pas même vers la mort.
Prenons un
exemple : le film de Granier-Deferre, le
Chat, avec Jean Gabin et Simone Signoret. Voici un vieux couple qui dure
encore et encore, aboutissant à une cohabitation hostile. Lui n’aime plus sa femme,
mais elle est encore en quête d’amour, ou du moins de reconnaissance. La
rupture provient d’un chat adopté par Julien qui se met à adorer cet animal, et
par la violente jalousie de Clémence qui se sent encore plus abandonnée. Elle
tuera l’animal, provoquant cet « éclair » qui sillonne leur ciel. Le drame est
que l’existence de l’autre est pour chacun une souffrance, mais qu’ils ne
peuvent se déparer. Ils sont, comme les héros de Sartre (Huis-clos) condamnés à
endurer éternellement la brûlure que chacun inflige aux autres.
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