Monday, April 13, 2015

Citation du 14 avril 2015

La décadence d'une littérature commence quand ses lecteurs ne savent pas écrire.
Nicolás Gómez Dávila (1) – Sucesivos escolios a un texto implícito

Curieuse et inquiétante idée : le lecteur ne serait digne du livre qu’il tient entre ses mains qu’à condition d’être capable d’écrire – je ne dis pas « le même » – mais au moins quelque chose qui soit digne de la langue de l’auteur.
On imagine ainsi que pour apprécier la littérature, il faut être soi-même un « usager » de la langue assez averti par la pratique qu’on en a, un peu comme pour être mélomane c’est mieux de savoir déchiffrer et jouer d’un instrument.
Du coup, la littérature dépend non seulement des écrivains, mais aussi des lecteurs. Prenez tous les bons auteurs d’une époque, et imaginez-les sans lecteurs : leurs livres échouent au fond des bacs des solderies, et pour finir au pilon. Eh bien vous aurez une littérature qui va entrer en décadence, et cela parce que les livres sont écrits pour un certain public, qu’ils ne sauraient se faire si ce n’est pour celui-ci, et que, lorsque plus personne ne lit, ou bien les écrivains s’éteignent, ou bien ils se mettent à écrire ce qu’on consent encore à lire – disons qu’on écrit alors pour être publié dans la collection Harlequin.
o-o-o
Je voudrais revenir au rôle dévolu à l’écriture : pas de lecture sans écriture, et donc pas de compréhension de l’art de l’écrivain sans cette pratique. C’est un peu prétentieux, n’est-ce pas ? Alors je me contenterai de penser que la lecture des plus grands est comme une pâture qu’on donne à son esprit, non seulement dans l’art de penser, mais aussi mais aussi dans la construction de son énoncé. Je n’aime pas trop quand on dit d’un livre : « C’est drôlement bien écrit. » ça veut dire quoi « bien écrit » ? Selon moi, l’art de l’écrivain est de donner à une pensée suffisamment personnelle une expression suffisamment juste  pour être totalement originale. « Originale » ne veut pas dire simplement surprenante, mais aussi admirable. Les Goncourt disaient que c’est dans l’épithète que se situe l’art de l’écrivain.
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(1) 1913-1994 : écrivain colombien. Voir ici

2 comments:

FRANKIE PAIN said...

quel beau billet. je pourrai écrire comme toujours . Fidéle à vos pensées , à votre plume et à votre art de dénicher les sujets , les plus surprenant, et à tenir l'actualité du monde dans vos propos métronomme référentielle à ceux qui pense sans la structure de la philosophie mais régulièrement on besoin de s'y référer pour caller pas callé pour le meilleur et le savoir pointue d'un sujet , mais callée dans le devoir de tout citoyen du monde par la petite lorgniette du singulière ne pas oublié la grande histoire qui ce raconte par plein de petits détails comme votre propos du matin.Que je partage .

merci de votre n°3 dans l'allégorie de l'attente sur mon blog,
il a disparu dans les commentaires,
mais je l'avais mis dans ma recherche sur l'attente pour vous y faire un retour du coup je l'ai mis dans le billet lui même mais si c'est votre désir qu'il disparaise , je le ferai. Je vous souhaite belle semaine Jean pierre

Jean-Pierre Hamel said...

Aucun problème, ce texte étant destiné (comme tous les autres) à circuler.
Bonne journée, chère Frankie, je vous embrasse
J-P