Le progrès et la catastrophe sont l'avers et le revers d'une même médaille.
Hannah Arendt
- Tu m’as vu dans ma Cayenne, achetée avec mes primes de fin d’années ?
- C’est pour faire les course à Carrefour que t’as acheté ça ? Ou bien pour aller jouer au Casino en laissant les clefs au portier ? Et puis tu pourrais me dire combien de CO2 ça rejette une bête comme ça ? Parce que quand je regarde la fiche technique, je trouve qu’elle fait le 0-100 km/h en 6,8 s., mais pas l’indice de pollution.
- Mais tu sais, dans mon métier, je n’ai pas le choix. Si je veux être reçu par les clients, il faut que je me pointe avec une Porsche, sinon j’ai perdu d’avance. Oh, et puis zut ! J’en ai marre de tous ces gens qui nous accusent de polluer, de faire monter les océans, de faire crever les ours blancs… Et les pandas, hein ? C’est nous peut-être ?
- Revenons à Hannah Arendt : sa thèse est que la catastrophe est liée intimement au progrès, qu’on ne peut l’en dissocier, pas plus qu’on ne peut séparer les deux faces de la médaille.
- Oui, bien sûr… Mais on peut dire aussi que, si un progrès engendre des inconvénients, un progrès suivant les effacera. Ma Cayenne pollue ? Attendons l’énergie propre avec le moteur à fission atomique. Tu dis que l’atome n’est jamais propre ? Attends que le génie génétique nous bricole des bactéries mangeuses de radioactivité. Ce n’est pas pour demain ? Hé bien, en attendant on mettra les déchets radioactifs dans des containers qu’on enverra s’enfouir dans l’anneau de Saturne.
- Seulement, voilà : Hannah Arendt nous parle bien de catastrophe. Et une catastrophe, c’est ce qu’on ne voit pas arriver : ça va trop vite. Une catastrophe, c’est une rupture, quelque chose comme une crise, qu’on peut prédire, mais qui nous surprendra toujours. Quand ça arrive, alors il est trop tard pour mettre en place une parade quelconque.
- Mais alors, tous nos savants, ils se trompent peut-être en disant que le climat va changer de façon significative dans - disons 50 ans - et pas avant ?
- Admettons que leurs prédictions soient un scénario parmi d’autres. Le scénario catastrophe en représente justement un autre.
Rappelle-toi. Il y a de ça un peu plus de 10 ans, ce qui était à la mode dans le domaine de la prévision, c’était la théorie des catastrophes : même que René Thom, inventeur de cette modélisation mathématique, était édité en livre de poche (1). J’en dirais bien des choses intéressantes si ma nullité pathologique en mathématiques ne me l’interdisait.
Reste qu’au cœur de la théorie des catastrophes, tu as la notion de bifurcation : quand on accroît régulièrement un paramètre dans un processus, il y a un moment où se produit une discontinuité totale, telle que la chaudière dont la pression augmente régulièrement et qui explose soudainement. C’est ça qu’on appelle la bifurcation.
Et qu’est-ce qui dit qu’on n’est pas entrain de bifurquer au plan climatique ?
- Bon, si c’est comme ça, je n’ai plus à hésiter : ma Cayenne n’y changera plus rien.
(1) Paraboles et catastrophes (Ed. Champs Flammarion). Voir ici un entretien de René Thom avec Jacques Nimier. Thom y définit sa théorie comme « générateur de modèles » applicables à toutes sortes de sciences. Y compris - pourquoi pas - la climatologie.
2 comments:
Je viens juste de découvrir ce blog, par le plus grand des hasards.
Il va falloir que je prenne le temps de parcourir ses imposantes archives...
Bonne continuation !
J crois comprendre que nous cheminons sur des routes parallèles. Merci de me faire part de vos remarques, lorsque vous le jugerez utile.
Je vais d'ailleurs aller également me promener chez vous : peut-être même marauder une nouvelle citation ?
Post a Comment