Ce perpétuel mourir qu'on appelle, faute de mieux, le présent.
Louis Aragon
Quant au temps présent, s'il était toujours présent, et qu'il ne passât point, ce ne serait plus un temps, ce serait l'éternité. Si donc le temps n'est temps que parce qu'il passe, comment peut-on dire qu'il est, lui qui n'est que parce qu'il est sur le point de n'être plus; et dont il n'est vrai de dire que c'est un temps, que parce qu'il tend au non-être.
St Augustin Confessions XI, 14
A quoi bon peiner à lire les philosophes, alors que les poètes nous suffisent ?
Qu’on relise la remarque de Descartes (1) : quel relief elle prend en présence de ces deux citations ! Ce perpétuel mourir, est-il autre chose que ce temps qui n’est que parce qu’il tend au non-être ?
Et même si la formulation de Saint Augustin était moins filandreuse, ne préfèrerions-nous pas l’expérience de l’arrachement à soi-même - ou aux autres - à la quelle fait appel Aragon ?
Permettez que je laisse de côté les incertitudes d’interprétation aux quelles prête la phrase d’Aragon - par opposition à la précision de celle d’Augustin (2) - pour filer droit sur mon propos : à quoi bon peiner à lire les philosophes, alors que les poètes nous suffisent ?
Là encore que ceux qui ont l’expérience de cette double lecture répondent, et ici même s’ils le veulent.
Pour moi, j’esquisserai une réponse sans risque : poésie et philosophie sont, ainsi que le montre la confrontation de ces deux citations, complémentaires.
Comme on le voit, Augustin lance son analyse par une question (ou plusieurs questions : ce qu’on appelle une « problématique » (3). C’est l’étonnement qui initie la réflexion philosophique - on le sait depuis Aristote.
Si on peut donc dire qu’en philosophie, au début de tout est le problème, on dira qu’avec la poésie, c’est à la fin du poème que se situe la question. Si notre présent est un perpétuel mourir, comment faisons-nous pour le vivre ? Car vous serez d’accord avec moi je suppose pour dire que nous ne vivons que le présent. Vivre c’est mourir : oxymore dont il faut pourtant bien se dépatouiller.
C’est probablement que le présent n’existe pas sans l’avenir (voir citation d’Aragon hier)
(1) Il y a en nous des semences de science comme en un silex des semences de feu; les philosophes les extraient par raison, les poètes les arrachent par imagination: elles brillent alors davantage. La suite Post du 6 avril 2007
(2) Quant à la polysémie des citations, voir le post d’hier.
(3) Problématique : mot inventé par les profs de philo pour faire souffrir leurs élèves lors de la préparation de leur dissertation. Ces profs sans scrupules vont jusqu’à employer ce terme dans un sens différent de celui usité par leurs collègues économistes, historiens, littéraires… Des sadiques, rien d’autre.
No comments:
Post a Comment