Les paroles sont aussi elles-mêmes des images des choses.
Nicéphore le Patriarche - Troisième Antirrhétique
Nicéphore est connu pour avoir défendu les images contre les iconoclastes. Mais on voit ici qu’il fallait selon lui aller bien au-delà : les mots sont des symboles des choses, leur décalque qu’il faudrait prendre au sérieux pour savoir les lire (1).
Magritte, en dynamitant la distinction entre peinture figurative et peinture abstraite a montré qu’il fallait aller plus loin encore : les mots sont des choses.
Voyez cette œuvre de Magritte intitulée La Clé des Songes.
Ici, les mots sont des éléments picturaux, au même titre que les choses qu’il peint avec beaucoup d’application à la ressemblance trompeuse du réel.
Seulement, voilà : si les mots sont des choses, ils ne sont pas forcément ces choses-là qu’ils désignent. Ou plutôt, ils sont des choses en eux-mêmes, et ils n’ont pas à rendre compte de ce signifiant que la langue leur a attachés. Ils sont pure forme - au pire, pur élément décoratif - et il n’y a pas à chercher en dehors d’eux-mêmes une quelconque signification.
On avait cru que « Ceci n’est pas une pipe » (2) était un jeu insolite, et que l’artiste cherchait seulement à surprendre. En réalité, Magritte nous invitait à lire la forme-pipe comme une forme pure dégagée de toute contrainte utilitaire. (voir là-dessus les thèses de Bergson).
On voit maintenant que : « la lune » ne désigne évidemment pas le soulier, et qu’il ne désigne même rien du tout. « la lune » est un joli dessin, point final.
Bien entendu il en va de même pour la chaussure : elle n’est pas une chaussure, elle est la forme peinte que nous reconnaissons comme chaussure, mais qui n’est de fait rien d’autre que cette forme peinte.
Au fond, au lieu de nous tendre un piège (qui serait de nous pousser à rechercher je ne sais quelle symbolique réunissant la chaussure et la lune (3)), Magritte nous invite à ressentir quelque chose dans la co-présence de la forme-chaussure et de la forme-écriture
(1) Et sans doute retrouver leur racine dans l’hébreu, considéré comme un protolangage
(3) Bien évidemment il n'est interdit à personne de rechercher ce rapport et de le privilégier en tant que message poétique. L'art, c'est la liberté du spectateur-créateur.
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