L'argent seul est le bien absolu, car il ne pourvoit pas uniquement à un seul besoin "in concreto" mais au besoin en général, "in abstracto".(1)
Arthur SCHOPENHAUER / Aphorismes sur la sagesse dans la vie (1851)
Si comme moi vous consultiez une Encyclopédie des citations à l’article « argent » vous seriez frappé par la banalité des citations relevées, quand il ne s’agit pas de leur totale vacuité.
Schopenhauer, lui, prend l’argent au sérieux, c’est à dire qu’il fait son métier de philosophe : expliquer ce qui paraît si évident que personne ne cherche à l’expliquer.
Bien sûr, sa définition soulève d’autres questions, qu’on a résolues depuis Aristote au moins. En particulier celle-ci : qu’est-ce qu’on a mis dans l’argent pour qu’il puisse satisfaire tous les besoins (2).
Ce qui intéresse ici, c’est que Schopenhauer accorde à l’argent le maximum qu’on puisse lui accorder : il est le bien absolu. Mais il lui refuse - implicitement - ce qu’on ne pourra jamais obtenir contre de l’argent : tout ce qui n’est pas un besoin. Par exemple : être aimé (3).
- Pourquoi l’argent, si puissant soit-il n’est-il pas tout puissant ?
Certes, si pour répondre à cette question nous sommes renvoyés à une réflexion sur le travail et la satisfaction des besoins, nous ne sommes pas sortis de l’auberge. Mais on pourrait, en se limitant à l’essentiel, en arriver à la distinction entre l’avoir et l’être.
Les besoins dont la satisfaction s’achète c’est du domaine de l’avoir. Je peux m’acheter des livres en quantité, je peux m’acheter un Steinway. Mais si je veux jouer Chopin, ou comprendre la philosophie d’Auguste Comte (4), alors mon argent ne suffira pas ; il me faudra être musicien, philosophe, etc…
On comprend alors que les banalités que je dénonçais plus haut, consistent pour la plupart à souligner qu’on ne peut être sans avoir.
Mais plus intéressant est de remarquer que la société de consommation s’ingénie à nous faire croire qu’on peut être grâce à ce que l’on a.
(1) Voici le texte complet - « On reproche fréquemment aux hommes de tourner leurs voeux principalement vers l'argent et de l'aimer plus que tout au monde. Pourtant il est bien naturel, presque inévitable d'aimer ce qui, pareil à un protée infatigable, est prêt à tout instant à prendre la forme de l'objet actuel de nos souhaits si mobiles ou de nos besoins si divers. Tout autre bien, en effet, ne peut satisfaire qu'un seul désir, qu'un seul besoin : les aliments ne valent que pour celui qui a faim, le vin pour le bien portant, les médicaments pour le malade, une fourrure pendant l'hiver, les femmes pour la jeunesse, etc. [...] L'argent seul est le bien absolu, car il ne pourvoit pas uniquement à un seul besoin "in concreto" mais au besoin en général, "in abstracto". »
(2) Voir entre autre mon Post du 16 février 200
(3) Faut-il le dire ? Un besoin est ce qui se satisfait de la consommation d'une réalité matérielle, et non ce qui est le fait d'un élan spirituel ou d'un manque désirant.
(4) Pourquoi Auguste Comte ? Parce que son œuvre imprimée occupe plusieurs mètres d’étagères dans les bibliothèques.
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